Emission 99 : Une historienne et ses mémoires familiales, avec Camille Lefebvre

Quatre-vingt-dix-neuvième numéro de Chemins d’histoire, dix-huitième numéro de la troisième saison

Émission diffusée le dimanche 23 janvier 2022

L’invitée : Camille Lefebvre, directrice de recherche au CNRS, autrice de A l’ombre de l’histoire des autres, éd. de l’École des hautes études en sciences sociales, 2022.

Le thème : Une historienne et ses mémoires familiales

Le canevas de l’émission

Un livre un peu particulier dans la biographie de l’autrice (un « pas de côté vis-à-vis de l’ordinaire de mon métier »), spécialiste de l’histoire de la colonisation, historienne du Sahel et du Sahara central entre XVIIIe et XXe siècles. Une histoire familiale, une histoire d’une mémoire familiale. Regardons la première de couverture. Illustration de couverture, d’après des photographies des grands-parents de Camille Lefebvre (conception graphique remarquable d’Ann-Koulmig Renault). Que disent ces photographies croisées du projet du livre ? Qui sont ces quatre personnages ? Catherine (famille juive issue des confins russo-ottomans), Paul (famille juive maghrébine), les grands-parents maternels ; Simone (ruraux normands) et Mariano dit Mano (dont la famille vient d’Espagne), les grands-parents paternels. Raconter « la série de déplacements qui mènent aux rencontres, au début des années 1950, à Paris, de [vos] quatre grands-parents : d’un côté, celle de la fille d’une jeune femme juive ashkénaze ayant grandi entre Odessa et Kichinev du fils d’un couple de marchands de tissus juifs séfarades de Sdi-bel-Abbès ; de l’autre, celle de la fille d’un boucher de Seine-Maritime et d’un républicain espagnol fils de paysan de la région de Ségovie ». Pourquoi raconter cette histoire ? Pourquoi la raconter maintenant ? Effets de génération. Écrire pour la mère (à qui l’ouvrage est dédié) ? En même temps, d’autres historiens ou historiennes n’ont pas franchi le cap. Claire Zalc (Z ou souvenirs d’historienne, 2021, propose une autobiographie intellectuelle mais se dit incapable de raconter son histoire familiale, voir notre émission 87, diffusée le 3 octobre 2021). D’autres historiens l’ont fait (voir p. 11 du livre). 

Comment raconter cette histoire ? Une nécessaire oscillation entre une posture émotionnelle et une posture savante ? Oscillation intrinsèque au métier d’historien (on fait toujours partie de l’histoire que l’on construit et il faut néanmoins se rendre étranger à celle-ci, pour pouvoir l’écrire, p.  177). Interroger ce que l’on peut faire « en historienne » des récits et des mémoires de sa propre famille. En étant consciente des limites de l’exercice. Limites en termes de compétences (ne pas être spécialiste de ce qu’on étudie), en termes de pratique (s’accommoder du rapport intime à son objet). Quels types de biais produit une recherche conduite par une historienne aussi proche de son sujet ? L’autrice insiste sur la peur de ce qu’elle « pourrait découvrir ». Les sources disponibles : récits oraux des grands-parents, recueillis à divers moments (en particulier récits de Catherine et de Simone) et des autres membres de la famille ; textes rédigés par Paul et par Mariano dans les années 1990 (plus un autre texte de Mariano en espagnol, découvert dans les archives du Parti communiste espagnol). Sources complémentaires. Des sources et des historiens (voir la liste des remerciements). 

« Une famille dont les histoires entrelacées contribuent à faire la personne et l’historienne que je suis » (p.  181). Familles et pratiques familiales. Judéité et communisme. Ipséité et altérité. Soi-même comme une autre. Cinq des huit arrière-grands-parents de l’autrice sont nés hors de France. Et cela ne se voit ni ne s’entend. Une « altérité intérieure », que veut restituer le titre du livre ? Les profondeurs d’une identité. 

Virgule 

Itinéraires (1). La grand-mère maternelle et d’abord l’arrière-grand-mère maternelle, Olga Katzovitch. On suit Olga, née à Odessa en 1891. Une famille d’exilés (Odessa puis Kichinev et la Bessarabie, à la fin du XIXe siècle, Paris, en 1906). Face aux pogroms. A Paris, le mariage avec Jean Lautier, médecin aliéniste, en 1916. Six enfants, dont Françoise/Catherine. Face à la persécution. A Privas (Ardèche). Lecture, p.  48, récit recueilli par Juliette Seban, en 2017. La déportation d’Anna (sœur d’Olga), du mari de celle-ci et de leur fille (Hélène), en février 1943 (immédiatement assassinés).  

Itinéraires (2). Le grand-père maternel, Paul. Famille de juifs maghrébins (Tétouan, Oranie). Simon Seban et Hermance Parienté. Le magasin Parienté et Seban à Sidi-bel-Abbès. Les sept enfants, dont Paul, né en 1929 (le sixième de la fratrie). Déclassement social dans les années 1930. L’antisémitisme et le communisme. La Seconde Guerre mondiale. Les études à Paris (cinéma, IDHEC), la rencontre avec Catherine. Carrière de Paul, militant communiste (ne rendra jamais sa carte). 

Itinéraires (3). La grand-mère paternelle, Simone Lefebvre. La Normandie et la Seine-Maritime. Ruraux pauvres Normands. Vers la ville (rencontre des parents de Simone, à Rouen, au début du XXe siècle, mariage en 1916). Simone institutrice, comme sa sœur Paulette, au début de la Seconde Guerre mondiale. Résistance et communisme (Paulette et son mari Victor). Simone et la sociabilité communiste. 

Itinéraires (4). Le grand-père paternel, Mariano/Mano. Tentative de reconstituer son itinéraire. Distorsion entre vie de papier et vie personnelle. Pourquoi ? L’Espagne, de l’enfance jusqu’à la guerre civile ; l’époque des camps d’internement et des compagnies de travail, de la clandestinité et de la résistance en France entre 1939 et 1942 ; la résistance en Espagne et la prison de 1943 à 1951 ; la vie d’après à Clamart, avec son lot d’actions clandestines. Résistance et communisme en France et en Espagne (arrestation et prison). Le texte de 1951, découvert récemment par Camille Lefebvre (p.  61 et s.).

La couverture du livre avec les quatre grands-parents de Camille Lefebvre

Quelques lectures complémentaires

Un compte rendu du livre de Camille Lefebvre signé Blaise Truong-Loï ;

Une recension proposée par Benjamin Laillier pour Le Maitron ;

Une lecture proposée par Nathalie Funès pour le compte de L’Obs.

%d blogueurs aiment cette page :