Emission 78 : Édith Thomas (1909-1970) et Les « Pétroleuses » (1963), avec Chloé Leprince et Alexis Douchin

Soixante-dix-huitième numéro de Chemins d’histoire, trente-sixième numéro de la deuxième saison

Émission diffusée le dimanche 20 juin 2021

Le thème :  Édith Thomas et son ouvrage Les « Pétroleuses » (1963)

Les invités : Chloé Leprince, journaliste à France Culture et historienne, éditrice de Les « Pétroleuses », un texte signé Édith Thomas, publié initialement en 1963 et qui reparaît chez Gallimard, en 2021, et Alexis Douchin, chargé d’études documentaires aux Archives nationales, responsable des fonds anciens auprès du département des archives privées.

Le canevas de l’émission

Le livre Les « Pétroleuses », paru en 1963 à la NRF, dans la collection « La Suite des temps », un livre dont le projet se dessine dès les premières lignes de l’introduction (voir p. 31 et aussi p. 37-38). Le terme de « pétroleuses » utilisé, « inventé en 1871 pour dénommer les femmes qu’on accusait d’avoir incendié Paris ». Un terme employé ici de manière plus large et sans caractère péjoratif. Un travail de déconstruction, un « contre-récit ». Déconstruire une représentation hystérisée et fiévreuse de l’engagement féminin.

Qui est Édith Thomas (1909-1970) ? Retour sur un parcours. Archiviste paléographe en 1931 (thèse, une Étude sur les relations de Louis XI avec la Savoie). Commence à écrire un journal intime, alors qu’elle subit le calvaire d’une tuberculose osseuse (continue à tenir ce journal jusqu’en 1963). Romancière (prix du premier roman pour La Mort de Marie, 1934), journaliste et femme engagée (travaille pour de nombreux journaux de gauche, effectue des reportages à Vienne, en Espagne) dans les années 1930. Résistante pendant la Seconde Guerre mondiale, adhère au PCF en septembre 1942, figure majeure du Comité national des écrivains (chez elle, rue Pierre-Nicole, se tiennent les réunions du comité directeur du CNE, à partir de février 1943), collaboratrice des Lettres françaises et des Éditions de Minuit (publie des contes sous le nom d’Auxois, mais aussi des poèmes, 4 poèmes dans l’anthologie L’Honneur des poètes, publiée clandestinement en 1943 par les éditions de Minuit, sous le pseudonyme d’Anne). Dans Les « Pétroleuses », Édith Thomas fait le lien entre son engagement dans la Résistance et son intérêt pour les communardes (voir p. 39). Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, Édith Thomas est archiviste puis conservateur aux Archives nationales, à partir de 1948. Passions et engagements (elle a une relation passionnée avec Dominique Aury, future compagne de Jean Paulhan, en 1946-47 ; elle quitte le PCF et s’en explique en 1949, elle garde toujours l’espoir d’un communisme rénové). Activité intellectuelle notamment consacrée à des biographies historiques (Jeanne d’Arc, 1947, Les Femmes de 1848, 1948, Pauline Roland, 1956, George Sand, 1959, Louise Michel, posth. 1971). Le roman Le Jeu d’échecs (1970) est un roman à clefs avec une dimension autobiographique.

Une femme dont le parcours et les travaux (et notamment Les « Pétroleuses ») n’ont pas forcément retenu l’attention qu’ils méritent (même si le livre obtient le prix Femina-Vacaresco et est traduit en anglais, en 1966). Formes d’invisibilisation (du parcours d’Édith Thomas, de ses travaux biographiques, un genre méprisé). Au moins jusqu’aux recherches de Dorothy Kaufmann, auj. professeure émérite de français à Clark University à Worcester (Massachussetts), éditrice de textes inédits confiés à Kaufmann par Dominique Aury (Pages de journal, 1939-44, et le Journal intime de M. Célestin Costedet ; Le Témoin compromis, les mémoires de Thomas, éd. Viviane Hamy, 1995) et biographe d’Édith Thomas (biographie de 2004, traduite en français en 2007).

Une femme dont le parcours est documenté par des papiers déposés par son neveu aux AN. Présentation du fonds (318 AP). Comprend notamment les manuscrits édités par Dorothy Kaufmann (318 AP 13), des textes restés inédits (L’humanisme féminin, 1948, 318 AP 3), des notes de documentation pour divers ouvrages, des correspondances. Voir en particulier les notes de documentation (318 AP 8) et des scénarios radiophoniques dactylographiés pour Les « Pétroleuses » (318 AP 5).

Virgule

Le livre d’Édith Thomas. Organisation générale. 16 chapitres. Approche à la fois chronologique (du Second Empire aux condamnations des communardes sous la IIIe République) et thématique. Au cœur du livre (mais ce n’est pas forcément l’aspect le plus novateur de l’ouvrage), le chapitre XII, qui pose crânement la question, « Y eut-il des « pétroleuses » ? Aucune raison de penser que les femmes ne contribuèrent pas aux incendies. Édith Thomas examine des procès (source importante pour elle), des « affaires » de « pétroleuses » et conclut que seules Florence Wandeval et Anne-Marie Menand ont peut-être participé aux incendies. Elle ne peut assurer que l’Union des femmes (pour la défense de Paris et les soins au blessés, fondée le 11 avril 1871) a joué un rôle effectif dans ces incendies (p. 252). Que dit l’historiographie sur le traitement judiciaire des femmes ?

À la redécouverte de l’action et de l’apport des femmes dans la vie de la Commune. Beaucoup de noms sont cités (index impressionnant, près de 250 femmes). Des itinéraires de femmes connues ou moins connues sont restituées : Louise Michel, Élisabeth Dmitrieff, Nathalie Le Mel, Victorine Brocher par exemple (peu connue en 1963 et que l’autrice appelle Brochon, autrice d’un récit autobiographique, paru initialement en 1909), etc. Exemple de Victoire Léodile Béra, dite André Léo (1824-1900), romancière, journaliste féministe. Un portrait qui est aussi un autoportrait (lecture par Alexis Douchin, p. 174-175). Faire exister ces femmes pour ce qu’elles sont (lingères, brocheuses, brodeuses…), pour ce qu’elles font ! Quels itinéraires mettre en valeur ? L’autrice insiste aussi sur le rôle de structures comme l’Union des femmes et différents clubs. Elle s’attarde sur l’activité féminine dans deux domaines : l’organisation du travail (p. 134, « les recherches de la Commune de Paris de 1871 ont inspiré la réorganisation de la Yougoslavie communiste », Thomas a été très sensible à l’expérience titiste) et l’enseignement (voir p. 173).

Un récit informé (références aux archives multiples) et accessible. Ce n’est pas un livre de spécialiste. Quelle écriture de l’histoire ? Un livre fait aussi de parti-pris et d’ironie (s’en prend aux « élucubrations » de Proudhon sur les femmes par exemple), pugnace et combattif. Un livre politique aussi qui se veut une histoire des femmes et des féminismes (à quoi correspond l’humanisme féminin que l’autrice promeut ?). Restaurer les femmes dans leur capacité d’agir.

Les « Pétroleuses » aujourd’hui. Les femmes dans la Commune, les communardes.

Notices nécrologiques parues dans Le Figaro et dans Le Monde, 9 et 10 décembre 1970

La carrière d’Édith Thomas aux Archives nationales

« Travailleur intellectuel » aux Archives nationales (1941), secrétaire d’administration (1943), archiviste (1948), puis conservateur (intégration en 1957) aux Archives nationales. Édith Thomas a été en charge de la bibliothèque historique des Archives nationales.

Quelques compléments

Une notice nécrologique signée Louis-Martin Chauffier et parue dans la revue Bibliothèque de l’ École des chartes (1972) ;

Une notice informée sur la vie d’Édith Thomas, par Dorothy Kaufmann et Nicole Racine, pour le compte du Maitron ;

L’inventaire de la sous-série 318 AP des Archives nationales (papiers d’ Édith Thomas) ;

Voir aussi l’épisode 54 de nos Chemins d’histoire, un épisode consacrée à l’histoire de l’École nationale des chartes.

Plaque commémorative figurant sur l’immeuble sis au 15 rue Pierre-Nicole, dans le 5e arrondissement de Paris
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