Emission 54 : Histoire(s) de l’Ecole nationale des chartes, avec Jean-Charles Bédague et Olivier Poncet

Cinquante-quatrième numéro de Chemins d’histoire, douzième numéro de la deuxième saison

Émission diffusée le dimanche 6 décembre 2020

Le thème : Histoire(s) de l’Ecole nationale des chartes

Les invités : Jean-Charles Bédague, archiviste paléographe, sous-directeur de la communication et de la valorisation des archives au service interministériel des Archives de France, et Olivier Poncet, archiviste paléographe, professeur à l’Ecole nationale des chartes, coauteurs de L’Ecole nationale des chartes. Deux cents ans au service de l’histoire, Gallimard / Ecole nationale des chartes, 2020.

Le canevas de l’émission

L’École nationale des chartes constitue une institution unique en son genre, comme le rappellent Michelle Bubenicek et Louis Gautier dans la préface de l’ouvrage, « seul établissement d’enseignement supérieur, en France et dans le monde, à proposer un bouquet de disciplines rares qui sont ailleurs éclatées entre différentes facultés et maints cursus : paléographie, philologie latine et romane, archivistique, diplomatique, histoire du droit et des institutions, histoire des textes littéraires, codicologie, histoire du livre et des médias, archéologie, histoire de l’art, humanités numériques ». Une institution unique… et un nom qui dit un projet : la référence aux chartes. Explication, avec en tête les mots d’Isaac-Étienne de La Rue, garde général des Archives, adressés en mars 1822 aux premiers pensionnaires de l’École tout juste fondée : « Tout historien qui ne prend pas les chartes pour guide dans le dédale des temps s’exposer à s’égarer ». Le projet : retracer l’histoire de l’institution. Avec quelles sources, quelle documentation (93 J aux Archives nationales, à Pierrefitte-sur-Seine) ? Pour quel type d’ouvrage ? Un ouvrage richement illustré, doté d’un appareil critique plutôt réduit.

La longue genèse de l’École des chartes. L’ordonnance de Louis XVIII, en date du 22 février 1821, crée une « école des chartes dont les élèves [dont le nombre ne pourra dépasser 12] recevront un traitement ». Le lien avec l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Une école dont l’idée est soufflée par Joseph-Marie de Gérando, née d’une crainte et d’un espoir. La crainte : ne pas disposer d’hommes capables de mettre à la disposition de l’historien les matériaux échappés à la ruine des siècles. L’espoir : que soit ranimée la poussière des archives entassées par le cours des âges (voir les mots du comte Siméon, ministre de l’Intérieur de Louis XVIII). Une création dont le processus s’enracine dans l’époque moderne et le début du XIXe siècle. Reconstituer des équipes d’érudits comme celles qu’avaient formé les bénédictins de la congrégation de Saint-Maur au sein du Cabinet des chartes (fondé en 1759). Exaltation des documents écrits, des chartes, dans un contexte d’engouement pour le Moyen Age. Lecture d’un extrait d’un discours du chevalier de La Rue, garde général des Archives, allocution délivrée auprès des premiers pensionnaires de l’École. Une première promotion formée dans des conditions particulières (13 élèves finalement). L’École échoue finalement à fournir à l’Académie des inscriptions des auxiliaires propres à poursuivre ses travaux d’érudition. Une école refondée en 1829, sous Charles X (cours de paléographie, concours, brevet d’archiviste paléographe, perspectives d’emplois, siège de l’École à la Bibliothèque royale). Naissance de l’esprit chartiste, avec l’appui des autorités (rôle du ministre de l’Instruction publique, François Guizot) ; participation à divers travaux collectifs. Fondation, en 1839, de la Société de l’École des chartes, et d’une revue qui lui est adossée, Bibliothèque de l’École des chartes. La réorganisation de l’École par une ordonnance du 31 décembre 1846, sous Louis-Philippe. La pluridisciplinarité dans l’enseignement est instaurée, la délivrance du diplôme d’archiviste paléographe est conditionnée à la soutenance d’une thèse, les locaux sont établis aux Archives du royaume. Vers la maturité, de 1848 à 1870. Les archivistes paléographes partent à la conquête du territoire national (dirigent des services d’archives départementaux). Un révélateur : le premier annuaire et la première photographie des élèves de l’École en 1867.

Virgule

Sous la IIIe République, sous l’autorité de Jules Quicherat puis de Paul Meyer, en poste en 1882 et pendant 34 ans, jusqu’en 1916. En 1897, l’École trouve, au 19 rue de la Sorbonne, le siège qui sera le sien jusqu’en 2014 (déménagement au 65 rue de Richelieu). Entre 15 et 20 élèves par promotion. La paléographie constitue la colonne vertébrale de l’enseignement. Une école qui reste médiévale de cœur et d’esprit. Les thèses débordent rarement la fin du Moyen Age, avant que les choses ne changent à la fin du XIXe siècle. Une école d’érudition et d’historiens. Témoignage de Roger Martin du Gard (1881-1958, intègre l’Ecole des chartes en 1900, archiviste paléographe en décembre 1905, avec une thèse sur les ruines de l’abbaye de Jumièges), lequel célèbre la méthode chartiste. Des chartistes viennent peupler les institutions universitaires et s’investissent sur le plan scientifique. Les chartistes sont dominants aux Archives nationales et dans les dépôts départementaux (grandes figures comme Charles Robillard de Beaurepaire ou Arthur de La Borderie), c’est moins le cas dans les bibliothèques. Ils s’investissent dans la vie politique. Quel est le rôle des chartistes pendant l’affaire Dreyfus ? Après la Première Guerre mondiale (lourdes pertes, 7 élèves sur les 12 ayant réussi le concours en 1914 sont tués), l’Ecole s’ouvre de plus en plus aux femmes (première femme en 1906, les femmes deviennent majoritaires). Une école sur la défensive pendant l’Entre-deux-Guerres ? Face aux Annales. Un paradoxe : les chartistes irriguent la société ! Collaborateurs, proches de Vichy et résistants (exemples de Marcel Baudot, de Michel de Boüard ou d’Edith Thomas) issus de l’Ecole pendant la Seconde Guerre mondiale.

Après 1945. Une école qui s’adapte aux nouveaux enjeux par petites touches, dans un contexte institutionnel mouvant (avec la création de l’École nationale supérieure de bibliothécaires, en 1963). Deux crises majeures : mai 1968 et mars 1971. En 1968, les élèves, faiblement politisés par ailleurs, protestent contre les enseignements délivrés (voir la banderole : « Pour la première fois depuis 1848, ici on dépoussière »). La crise de 1971 se concentre sur le manque de débouchés. Des réformes et des ajustements sont entrepris par la suite. Des transformations plus profondes de l’École sont entamées à partir des années 1990 (concours d’entrée, enseignements, expertise numérique avec la création, en 2006, du master « Technologies numériques appliquées à l’histoire »). Aujourd’hui, l’Ecole (dont la mission a été rappelée par décret, le 30 décembre 2005) fait partie de l’Université PSL et propose cinq diplômes ; elle dispose d’un laboratoire de recherche (le Centre Jean-Mabillon), d’une bibliothèque. L’Ecole compte environ 150 élèves et étudiants, 12 professeurs sans compter d’autres intervenants. Entre érudition et modernité. De la France au monde.

Figures de chartistes. Paul Boudet, un chartiste en Indochine, créateur et directeur du service des archives et bibliothèques en Indochine entre 1917 et 1947 ; Jeanne Vielliard (1894-1979), première de sa promotion à l’Ecole en 1924, après avoir soutenu une thèse sur « le latin des diplômes royaux et chartes privées de l’époque mérovingienne », première femme membre de l’École française de Rome (1924-1927), membre de la Casa de Velázquez, conservatrice aux Archives nationales, directrice de l’Institut de recherche et d’histoire des textes, de 1940 à 1964 ; Henri-Jean Martin (1924-2007), historien du livre. Le choix de Jean-Charles Bédague : Arthur Giry (1848-1899), le deuxième père de la diplomatique après Jean Mabillon, dreyfusard, sollicité en 1898 et en 1899 pour expertiser le bordereau finalement attribué à Ferdinand Esterhazy. Le choix d’Olivier Poncet : Gabriel Esquer (1876-1961), archiviste à Aurillac puis à Alger, où il s’éteint à l’âge de 85 ans.

Deux textes lus au cours de l’émission

Allocution de bienvenue délivrée par le chevalier de La Rue, garde général des Archives, allocution délivrée auprès des premiers pensionnaires de l’Ecole des chartes, le 4 mars 1822 (texte cité p. 22 de l’ouvrage)

« Messieurs,

Les chartes qui vont devenir l’objet de vos études sont à juste titre regardées comme les flambeaux de la chronologie et de l’histoire. Elles suppléent à ce que les médailles, les inscriptions et les autres monuments de ce genre ont d’insuffisant. Sans elles, tout est obscur, tout est douteux dans le Moyen Age. Sans elles, les généalogies ne présentent que des problèmes ou des fables. Sans elles, l’origine de nos principales institutions resterait enveloppée de ténèbres. En un mot, tout historien, tout chronologiste qui ne prend pas les chartes pour guide dans le dédale des temps s’expose à s’égarer. »

Témoignage de l’écrivain Roger Martin du Gard (1881-1958), élève à l’Ecole des chartes entre 1900 et 1905 (texte cité p. 22 de l’ouvrage)

« J’y ai été soumis à une certaine méthode de travail, à une certaine discipline intellectuelle et morale, qui me sont devenues une seconde nature. J’ai appris non seulement à respecter, mais à considérer comme indispensable, pour accomplir un ouvrage digne de confiance et d’estime, la rigueur qu’appliquaient à leurs recherches ces historiens impartiaux, qui ne se seraient pas permis la plus petite affirmation sans s’être livrés au préalable à une documentation méticuleuse. […] Ce sont les maitres que j’ai fréquentés aux Chartes qui m’ont révélé ce que sont, chez un chercheur scrupuleux, la conscience scientifique et les exigences de l’honneur professionnel. »

Un article de synthèse

La revue L’Histoire, n° 479, janvier 2021, p. 12-22, a fait paraître un article de synthèse sur le sujet, article signé Yann Potin, « Profession : Archiviste paléographe ».

Dix chartistes nés avant 1914

De haut en bas, et de gauche à droite : Jules Quicherat (1814-1882), directeur de l’Ecole des chartes de 1871 à sa mort ; Paul Meyer (1840-1917), philologue et directeur de l’Ecole de 1882 à 1916, sollicité (en 1898, au procès Zola, et en 1899, au procès de Rennes) pour expertiser le bordereau qui a fait accuser le capitaine Dreyfus ; Arthur Giry (1848-1899), paléographe, diplomatiste dont les compétences sont également mises à contribution pendant l’Affaire Dreyfus ; Gabriel Hanotaux (1853-1944), historien et diplomate, député, ministre des affaires étrangères en 1894-1895 et en 1896-1898 ; Gabriel Esquer (1876-1961), archiviste à Aurillac puis à Alger ; Roger Martin du Gard (1881-1958), écrivain ; Jeanne Vielliard (1894-1979), philologue, directrice de l’Institut de recherche et d’histoire des textes entre 1940 et 1964 ; Georges Bataille (1897-1962), écrivain ; Edith Thomas (1909-1970), historienne, romancière, figure de la Résistance ; Régine Pernoud (1909-1998), historienne du Moyen Age.

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