Quatre-vingt-huitième numéro de Chemins d’histoire, septième numéro de la troisième saison
Émission diffusée le dimanche 17 octobre 2021
L’invité : Joël Chandelier, maître de conférences en histoire médiévale à l’université Paris 8, auteur de L’Occident médiéval. D’Alaric à Léonard, Belin, 2021.
Le thème : Une histoire de l’Occident médiéval
Le canevas de l’émission
Le projet et la fabrication de l’ouvrage. Une histoire du Moyen Age pour la série « Mondes anciens » des éditions Belin, série dirigée par Joël Cornette. Quel Moyen Age ? Revenir sur l’expression « Moyen Age ». Une construction savante héritée de la Renaissance, l’expression est née au milieu du XVe siècle (Hartmann Schedel, Ange Politien, voir p. 581), le terme se déploie à l’époque moderne (désigne à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle une période spécifique de l’histoire, voir Cellarius, puis Voltaire). Revalorisation du Moyen Age au XIXe siècle. Au XXe siècle, on s’est beaucoup intéressé au Moyen Age (forme d’apogée entre les années 1920 et les années 1970), et on s’est interrogé sur ses limites chronologiques. Interrogations qui nourrissent toujours l’historiographie aujourd’hui. Réflexions sur les débuts du Moyen Age et sur ses rapports avec l’Antiquité. Voir les travaux de la European Science Foundation, ceux de Bryan Ward-Perkins, de Chris Wickham (p. 593). Les dynamiques de l’historiographie aujourd’hui : un appel au décloisonnement ? Le Moyen Age global, période de l’intensification des sociétés (p. 594, article de l’historien Robert I. Moore).
(Re)penser une histoire du Moyen Age global. Le Moyen Age commence ici en 400 (voir aussi l’une des images de la première de couverture, représentation d’une partie d’un diptyque réalisé au moment du consulat de Stilicon, en 400, où l’on voit le maître des deux milices, revêtu à la romaine de la chlamyde), chevauchant ainsi une partie du volume rédigé par Claire Sotinel dans la même série des « Mondes anciens ». Pourquoi ce choix ? Aux origines du Moyen Age : l’Empire romain chrétien et les apports germaniques dits barbares. Figure d’Alaric. Le choix de 1450 est moins problématique sans doute (figure de Léonard de Vinci). Quelles scansions chronologiques au sein de la période ? La tripartition classique n’est pas fonctionnelle partout. Un « découpage plus fin et continu » est proposé (p. 13) : la période médiévale de l’Antiquité tardive ; la construction carolingienne ; la vitalité du long « siècle de fer » ; le cœur du Moyen Age ; la période finale (400-700-900-1050-1300-1450). Les problématiques retenues : la naissance de la modernité (en comprendre les origines), l’agencement entre religion, politique et société qui fait l’originalité de l’Occident (comprendre ce mécanisme), l’originalité propre de la culture occidentale et ses racines médiévales (le comprendre). 11 chapitres, 2 ateliers, une quarantaine de cartes originales (Aurélie Boissière), 150 documents iconographiques, des repères chronologiques, un index, un glossaire, bref une somme qui constitue le Moyen Age de Joël Chandelier, un spécialiste de l’histoire des sciences et de l’histoire culturelle et intellectuelle dans l’espace latin médiéval et dans le monde islamique, auteur par exemple de l’ouvrage Avicenne et la médecine en Italie. Le canon dans les universités, 1200-1350 (Champion, 2017).
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Quelques points saillants de l’ouvrage (1). Première période, évolutions territoriales complexes (voir les magnifiques cartes), avant et après la chute d’un empire. Des royautés qui se forment et qui sont les héritières de deux traditions, germanique et romaine (p. 55). La romanité comme héritage politique, culturel, religieux. Néanmoins, une modification profonde de l’État observée entre 500 et 700. De quelle nature ? Explications. Le nouveau modèle des États barbares d’Occident (notamment, le passage du Tax-Based State au Rent-Based State, voir p. 58, typologie de Chris Wickham). La fondation d’une civilisation chrétienne. Christianisation, selon quelles modalités et à quelle vitesse ? Une disparition assez rapide du paganisme (conversion achevée à la fin du VIIe siècle). Quelle structuration ? Le rôle du clergé séculier, les premiers moines (carte, p. 84, et reproduction de la plus ancienne copie de la règle de saint Benoît, début du VIIIe siècle, Bodleian Library, p. 83). De l’importance du monachisme dans le maintien d’une culture lettrée (voir la magnifique reproduction de la p. 101, issue du Codex Amiatinus, réalisé dans le monastère bénédictin de Wearmouth-Jarrow (où est actif Bède le Vénérable), dans le royaume de Nothumbrie, vers 700, emporté à Rome peu après et aujourd’hui à Florence, ici représentation d’Ezra le scribe dans sa bibliothèque). Le Codex et les nouvelles formes de la culture chrétienne. La fin du savoir antique et la disparition rapide de la connaissance du grec. La disparition presque compète de la philosophie et d’une grande partie de la science (voir le graphique p. 107).
Quelques points saillants de l’ouvrage (2). Deuxième temps. Le temps de l’unification et la dynamique carolingienne. Une unification politique (imparfaite, l’empire de Charlemagne, p. 136, et sa division, p. 175, voir aussi le phénomène viking) et religieuse. La renaissance carolingienne, la place des lettrés (voir la correspondance de Loup, abbé de Ferrières, mort en 862, p. 162).
Quelques points saillants de l’ouvrage (3). Troisième période. Naissance de l’Europe féodale. Réhabiliter le Xe siècle, en le sortant d’une vision millénariste portée jusque récemment par l’historiographie, une historiographie traversée des débats autour des mutations de l’an mil. Le modèle chrétien se répand ; des constructions politiques nouvelles font leur apparition ; se cristallisent les cadres du Moyen Age central (seigneurie, châteaux, chevaliers). L’apparition de la féodalité (voir p. 265), le système seigneurial.
Quelques points saillants de l’ouvrage (4). Après 1050 : la révolution de l’Église, révolution mentale et institutionnelle. La réforme de l’Église (plus que la réforme grégorienne), ses modalités (séparation entre clercs et laïcs, la lutte contre le nicolaïsme et la simonie), ses causes, ses effets. Renouvellement de l’épiscopat et territorialisation de l’encadrement (paroisses et diocèses) ; renouvellement du monachisme (voir les cartes splendides des p. 308, 312 et 317). La société : l’élargissement du groupe nobiliaire et l’intégration des chevaliers (représentation de l’un des épisodes de la tapisserie de Bayeux, première de couverture et p. 344), extension du domaine de la féodalité. Les dominés, les paysans. Une société dynamique : dynamisme démographique, urbain, marchand, culturel. La puissance retrouvée des États, avec de nouveaux moyens et de nouvelles techniques de gouvernement.
Quelques points saillants de l’ouvrage (5). Les bouleversements démographiques (la peste noire et ses effets à court et à long terme), gagnants et perdants. Soubresauts politiques. Le temps des questionnements intellectuels, spirituels. Humanisme, Renaissance et Moyen Age. Les Renaissances, où l’Italie joue un rôle essentiel mais loin d’être unique (p. 578). Les matrices de la modernité.
