Soixante-seizième numéro de Chemins d’histoire, trente-quatrième numéro de la deuxième saison
Émission diffusée le dimanche 30 mai 2021
Le thème : Un étranger nommé Picasso
L’invitée : Annie Cohen-Solal, professeure des universités, autrice de Un étranger nommé Picasso : dossier de police n° 74.664, Fayard, 2021.
Le canevas de l’émission
Le livre : quel projet ? Parcourir l’itinéraire de Pablo Picasso (1881-1973) avec un angle d’analyse atypique : considérer Picasso comme « un ‘étranger’, qui, en octobre 1900, arrive à Paris pour la première fois, avant d’être fiché, toute sa vie, par la police parisienne ». Aux origines du projet. Une plongée (assumée et revendiquée, voir par ex. p. et s. et l’ouverture du chapitre 5 de la première partie, p. 42-43, où est raconté le cheminement vers Pierrefitte) dans les archives (voir l’ode aux archives de la p. 12). Celles de la préfecture de police de Paris (bien au-delà du dossier rassemblé par Pierre Daix et Armand Israël, dans un ouvrage de 2003 : le dossier d’étranger n° 74.664. Les Archives nationales ; d’autres archives partout dans le monde (voir la liste, p. 716). Un livre qui confronte le Picasso-étranger au Picasso-artiste cosmopolite et artiste-monde. Un livre qui établit donc une forme de paradoxe. Un livre engagé et qui raconte aussi les choix et les engagements de l’autrice (laquelle fustige par exemple « l’effarant décalage entre la misérable réception » de Picasso à ses débuts et « l’utilisation » que fait la France « de l’aura acquise par Picasso à la force du poignet » (p. 114). Des allers-retours entre l’histoire et le présent. Un livre qui raconte les rencontres et l’œuvre (les œuvres) de Picasso (voir les index, le cahier iconographique et l’accès virtuel à la plupart des œuvres citées).
Virgule
Quelques points saillants du livre (1). 1900-1906. 1900, premier séjour à Paris avec Carlos Casagemas (lequel se suicide en février 1901, alors que Picasso est reparti à Barcelone, voir p. 30-31) à l’occasion de l’Exposition universelle. À Montmartre. Pourquoi le choix de Paris ? Premier rapport de police sur Picasso signé par le commissaire Rouquier, daté du 18 juin 1901, lors du 2e séjour de Picasso à Paris. Synthèse d’informations rassemblées sur Picasso par des indicateurs. En fait, plutôt des ragots et des allégations à l’emporte-pièce. Considéré à l’égal de Manach, son premier marchand, comme un anarchiste. Dans le labyrinthe parisien entre 1900 et 1906, Picasso affirme son identité, y compris onomastique (à partir de juin 1901, pour l’exposition à la galerie Vollard, l’artiste signe Picasso, du nom de sa mère, au grand dam de celle-ci, voir ses lettres conservées au Musée Picasso, à Paris, p. 77). Ce sont d’autres parias qui jouent pour lui la fonction de gate-openers (réseau des Catalans ; Max Jacob, rencontré en 1901 ; Guillaume Apollinaire ; les Stein, Leo et sa sœur Gertrude). Le portrait de Gertrude Stein, 1905-1906 (The Metropolitan Museum), avec ce masque archaïsant protocubiste (style qui a germé dans l’esprit de Picasso pendant le séjour à Gosol à l’été 1906) sur un corps typique de la période rose.
Quelques points saillants du livre (2). 1906-1914 et au-delà. La construction d’une bulle cosmopolite et son éclatement, avec l’avènement de la Première Guerre mondiale. Le salon des Stein, la galerie de Kahnweiler. Autour de la figure de Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979), installé à Paris depuis 1902, qui ouvre une galerie rue Vignon, en 1907, avant de faire la connaissance de Picasso. Promoteur des figures du cubisme (Picasso, Braque, Gris, Derain). En Suisse pendant la Grande Guerre. Biens et galerie séquestrés, ils seront vendus à Drouot entre 1921 et 1923. [Contrepoint, avant 1914 : une rocambolesque affaire en marge du vol de la Joconde ; en 1911, Picasso est entendu par la police au sujet de statuettes qu’il détenait et qui avaient été volées au Louvre par le secrétaire d’Apollinaire, Géry Pieret.]
Quelques points saillants du livre (3). Au cœur de l’Entre-deux-guerres. Accroissement phénoménal de la cote de l’artiste durant les années 20. Picasso capitalise autour de lui d’impressionnantes ressources humaines, souvent instrumentalisées (André Level, homme d’affaires et collectionneur, par exemple). Immense rétrospective en 1932… qui suscite un regain d’intérêt des officiels français à l’égard de Picasso.
Quelques points saillants du livre (4). La traversée de la Seconde Guerre mondiale. Le 3 avril 1940, Picasso dépose auprès du garde des sceaux une demande de naturalisation, pour la première et dernière fois de sa vie. Voir ce dossier (p. 429 et s.) qui n’aboutit pas. Qui a refusé la naturalisation française à Picasso ? Il s’agirait d’un certain Émile Chevalier, « un minable, un falot, un peureux, un lâche » et un artiste médiocre (p. 471). Subsister et jouer avec le feu. Les ambiguïtés de Picasso : fréquente tour à tour partisans de la collaboration et partisans de la collaboration (p. 449). Un ami abandonné ? Le cas Max Jacob. Invité à signer une pétition pour sauver Max Jacob de la déportation, Picasso ne le fait pas (Jacob meurt à Drancy en mars 1944), et il aurait déclaré au galeriste Pierre Colle : « Ce n’est pas la peine de faire quoi que ce soit. Max est un lutin. Il n’a pas besoin de nous pour s’envoler de sa prison » (p. 457). Une Seconde Guerre mondiale financièrement profitable à Picasso (un enrichissement équivalant à 1 M d’€, à quoi cela correspond-il ? Voir la p. 487).
Quelques points saillants du livre (5). L’artiste héroïsé, l’artiste-monde du second XXe siècle, l’artiste engagé (auprès du PCF auquel il adhère en 1944), l’artiste ancré dans son territoire méridional aussi. Célébré partout. Un « génie » enfin reconnu par la France. Seuls deux tableaux de Picasso dans les collections publiques avant 1947. Un met-oïkos, selon Romuald Dor de La Souchère (p. 598).
Prolongements du livre.
Compléments
Les œuvres de Picasso citées dans l’ouvrage peuvent être vues à partir des liens fournis sur le site d’Annie Cohen-Solal.
Voir, parmi d’autres comptes rendus, celui qui a été proposé par Sabine Gignoux pour le quotidien La Croix (23 juin 2021).
