Soixante-douzième numéro de Chemins d’histoire, trentième numéro de la deuxième saison
Émission diffusée le dimanche 25 avril 2021
Le thème : Rome, sept siècles d’histoire, du VIIIe siècle au Ier siècle avant Jésus-Christ
Les invités : Stéphane Bourdin, professeur d’histoire romaine à l’université Lumière-Lyon 2, et Catherine Virlouvet, professeure émérite d’histoire ancienne à Aix-Marseille Université, ancienne directrice de l’Ecole française de Rome, coauteurs de Rome, naissance d’un empire. De Romulus à Pompée, 753-70 avant Jésus-Christ, Belin, « Mondes anciens », 2021.
Le canevas de l’émission
Un livre qui s’inscrit dans une série dirigée par Catherine Virlouvet (volume 2, avec Patrice Faure et Nicolas Tran, publié en 2018, Rome, cité universelle, pour la période 70 avant notre ère-212 après Jésus-Christ, et volume 3, rédigé par Claire Sotinel, paru en 2019, Rome, la fin d’un empire, pour la période comprise entre le IIIe et la fin du Ve siècle, voir, à ce propos, l’entretien publié en novembre 2019 pour le compte de Chemins d’histoire et de Paroles d’histoire). Finalement, le premier volume paraît en dernier. Pourquoi ce volume s’arrête-t-il en 70 avant Jésus-CHrist, une date qui ne va pas de soi (une date qui voit, pour la première fois, l’enregistrement au nombre des citoyens romains de tous les Italiens) ? Une réflexion sur le corps civique, comme fil rouge de la série sur Rome. Un volume qui se penche « sur la genèse » de la « prétention à l’universalisme » de Rome, une séquence marquée de manière continue par des guerres de conquête. Un phénomène dont il faut mesurer l’ampleur : Rome passe du rang de cité dominant son territoire alentour à celui de capitale contrôlant des espaces étendus sur des avant notre ère, l’une des nombreuses cartes de l’ouvrage (cartes signées Aurélie Boissière), dont la table apparaît en fin d’ouvrage après de précieux repères chronologiques, un glossaire et un double index.
Un point sur la documentation (voir notamment l’atelier de l’historien, en fin d’ouvrage, consacré à cette question). Rareté de la documentation écrite (pratique de l’écriture introduite en Italie par les colons grecs). Pour les époques royale et républicaine, on conserve un peu plus de 10 000 inscriptions en langue étrusque, entre 4 et 5 000 inscriptions en langue latine et 3 000 dans une autre langue italienne. Ces inscriptions datent surtout des IIIe-Ier s. avant Jésus-Christ. D’où le débat, qui existe au moins depuis le XVIIe siècle (Philip Clüver / Theodor de Rycke) : peut-on connaître le plus ancien passé de Rome ? Débat entre hypercritiques et fidéistes. Grand retentissement de l’œuvre de Louis de Beaufort (1703-1795, famille huguenote émigrée aux Provinces-Unies après 1685), notamment dans sa Dissertation sur l’incertitude des cinq premiers siècles de l’histoire romaine (1738). Débat sur l’historicité des premiers temps de Rome, qui se poursuit à l’époque contemporaine. Sur quelles sources fonder l’histoire de Rome pour la période précédant l’apparition de l’historiographie grecque (Ve s.) et de l’annalistique romaine (IIIe s.) ? Des textes de toute nature… dont il est toujours fondamental de rappeler le contexte et les modalités de rédaction. Exemple de l’Histoire romaine de Tite-Live (vers 59-17). De l’importance des humanités numériques pour interroger cette mosaïque de textes.
Des sources et… des images. Un livre qui est un immense cahier iconographique. Deux choix (parmi d’autres !) : un dessin (années 1980) de Luc Long (p. 574), conservateur en chef au Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM, structure créée en 1966 et implantée à Marseille), dessin représentant le double naufrage survenu au début du IIe s. av. JC puis dans les premières années du Ier s. av. J.-C., près de l’îlot du Grand Congloué, non loin de Marseille (fouilles dans les années 1950, sous la houlette de Fernand Benoit et avec le commandant Cousteau dont on possède des dessins, voir p. 621, puis dans les années 1980) ; des ex-voto d’intestins et d’enfants en langes provenant de Tessennano, à Vulci et datant du IVe siècle avant notre ère (voir p. 548, les dédicants offrent dans le sanctuaire une reproductin de l’organe dont ils ont obtenu la guérison grâce à la divinité).


Dessin de Luc Long représentant le double naufrage (épaves du Grand Congloué, près de Marseille, IIe-Ier siècle avant Jésus-Christ), années 1980, et ex-voto d’intestins et d’enfants en langes datant du IVe siècle avant notre ère
Virgule
La naissance de Rome. Les mythes (fonds mythologique italien et récits grecs qui fusionnent dans L’Enéide de Virgile). Quelle réalité derrière les mythes de la fondation de Rome ? Les découvertes archéologique (trois fonds de cabanes datant du VIIIe s. av. JC, sur le Palatin, en 1948 ; le site de Rome est fréquenté dès le Paléolithique). « Rome, à la fois centre de pouvoir (cité) et agglomération urbaine (ville), s’est formée progressivement, par un vaste mouvement de coalescence de populations commencé à l’âge du Bronze et achevé au début de l’âge du Fer avec l’acquisition et la revendication d’une identité » (p. 47). 280 ha au VIIe siècle, 426 ha au VIe. La Grande Rome des Tarquins : position remarquable sous la conduite de rois d’origine étrusque.
Une période de conquêtes. L’extraordinaire expansion, un des enjeux majeurs du volume. Un processus non linéaire. Des périodes de difficultés et même de repli (voir le Ve siècle). Conquête de l’Italie (aux IVe et IIIe siècles essentiellement, la citoyenneté romaine est octroyée aux hommes libres d’Italie en 90-89). Les deux premières guerres puniques (264-241 puis 218-202 ou 201), ou les débuts de l’impérialisme romain ? Le mécanisme de guerres, de conquêtes, de distributions de terres et d’intégration des alliés dans l’outil militaire romain commence en réalité avec la conquête de l’Italie centrale et méridionale au IVe siècle. Mais il y a une accélération nette dans le phénomène de conquêtes, au-delà même des guerres contre Carthage. Rome sort exsangue de la deuxième guerre punique, mais la reprise est rapide. Et, en moins de 70 ans, Rome et ses alliés conquièrent un empire méditerranéen. Rome passe d’une politique qui se réclame de la guerre défense à une politique d’agression vis-à-vis de l’extérieur. Rétablissement en Italie et en Cisalpine. En Espagne, en Grèce et en « Orient ». La troisième guerre punique et le siège long et douloureux de Carthage, qui tombe en 146 av. JC. Les débats du IIe siècle : la guerre est-elle toujours nécessaire ? (Caton, hostile à la guerre contre Rhodes en 167, favorable à la guerre contre Carthage, à la fin des années 150).
Des conséquences profondes. Réorganisations économiques. La conquête et son rôle dans l’évolution des institutions et des pratiques politiques. Mieux comprendre le régime que connaît Rome entre 509 et 27 av. JC. Début de la res publica libera en 509. S’agit-il d’une révolution ? Une République qui se comprend par ce qui l’a précédé (les réformes de Servius Tullius ont préfiguré ce qu’allait devenir la République censitaire). La progressive mise en place des institutions ; les prétentions du patriciat face à la plèbe. Au milieu du Ve siècle, première mise par écrit du droit romain (lois des XII Tables, dix lois gravées sur des tables de bronze en 451, deux lois en 450). « Une étape essentielle dans la construction de la Res Publica » (p. 658). Un travail… de Romain : la reconstitution de la / des lois des XII Tables (par Michel Humbert, lequel pointe 230 références explicites qui permettent d’identifier 106 dispositions, p. 660-661). La conquête de l’égalité politique au IVe siècle (les bases d’une égalité politique entre patriciens et riches plébéiens sont posées au milieu de ce siècle). Dans la première moitié du IIe siècle, la République est le meilleur des régimes, aux dires de Polybe. À partir de la fin du IIe siècle, l’impossibilité de fabriquer des compromis. Quelle place pour l’épisode gracchien (dans les années 130-120 av. JC) qui « continue de fasciner et d’opposer les historiens » ? L’affirmation des factions (au-delà de la simple opposition optimates/populares, à ne pas interpréter comme des affrontements entre partis politiques comme le faisait par exemple Theodor Mommsen, au XIXe siècle). L’affirmation du pouvoir personnel qui accentue les tensions anciennes au sein de la classe politique. La guerre civile entre Marius et Sylla.
Quelques lectures complémentaires
Catherine Virlouvet mentionne les ouvrages de Claudia Moatti, Res publica. Histoire romaine de la chose publique, Fayard, 2018, et de Jérôme France, Tribut. Une histoire fiscale de la conquête romaine, Les Belles Lettres, 2021.