Soixante-quatrième numéro de Chemins d’histoire, vingt-deuxième numéro de la deuxième saison
Émission diffusée le dimanche 7 mars 2021
Le thème : Le polythéisme grec
L’invitée : Vinciane Pirenne-Delforge, professeure au Collège de France, autrice de Le Polythéisme grec à l’épreuve d’Hérodote, Collège de France et Les Belles-lettres, 2020, livre en accès libre.
Le canevas de l’émission
Un livre qui est fondé sur les cours donnés au Collège de France en 2018, un cours intitulé « Polythéisme grec, mode d’emploi ».
Les mots pour le dire. Autour des concepts de religion et de polythéisme. Il convient de « se déprendre des déterminations culturelles qui ont tenu un voile opacifiant entre nous et les Grecs » (p. 13). La notion de détermination culturelle ou de déterminisme culturel.
L’histoire du mot « religion » est nécessairement convoquée. Le terme latin religio désigne au départ ce qui relève du scrupule et de l’attention précautionneuse. Les évolutions, les changements de perspective imposés par l’utilisation du terme dans les premiers siècles du christianisme. Ce n’est qu’à l’époque moderne que s’est cristallisé le sens que nous donnons auj. au terme de religion, avec des composantes comme la croyance, la vénération, les rites, la piété. La notion de polythéisme, attestée chez Eschyle, utilisée par les Pères de l’Église puis par Guillaume Budé (idolâtrie, paganisme) et Jean Bodin, au XVIe siècle (acte de naissance en français, renvoie aux hérésies chrétiennes). À l’époque contemporaine, le polythéisme devient une étape de l’histoire religieuse de l’humanité, et finit par désigner les systèmes religieux qui peuplent la sphère supra-humaine d’une pluralité d’entités. Religion et polythéisme : des concepts largement mobilisés par l’historiographie ces dernières années (une historiographie qui peut d’ailleurs faire écran), depuis les travaux de Martin Nilsson (Suédois, 1874-1967) jusqu’à aujourd’hui, en passant par les travaux de l’École de Paris (Jean-Pierre Vernant, 1914-2007, Pierre Vidal-Naquet, 1930-2006, Marcel Detienne, un Belge né à Liège en 1935, mort en 2019) et ceux de l’historien suisse Jean Rudhardt (1922-2003). Religion et polythéisme, des concepts opératoires. Le concept de religion désigne les multiples aspects des relations qu’un groupe humain cherche à instaurer avec la sphère supra-humaine ainsi construite (p. 56). Par ailleurs, « c’est la gestion de la pluralité et la mise au jour des tensions spécifiques qu’elle génère que je désigne par le terme de polythéisme » (p. 57).


Martin P. Nilsson et ses travaux, ici un ouvrage paru en français en 1954
Partir du texte de l’Enquête d’Hérodote (vers 480-vers 425) pour comprendre la religion grecque. Pourquoi ? La notion de nomos / nomoi chez Hérodote, ensembles de comportements et d’usages aussi variés que les peuples qui les portent. Parmi ces usages, il y a les relations avec la sphère supra-humaine. La religion grecque, vue par Hérodote, est l’ensemble des nomoi institués chez les Grecs pour régir les relations avec la sphère supra-humaine dont ces mêmes Grecs ont progressivement élaboré les composantes et les contours (p. 93). Quelle est l’histoire du polythéisme que raconte Hérodote dans l’Enquête ? Une interprétation partiellement diffusionniste de la religion des Grecs (voir p. 75 : des pratiques héritées des Égyptiens selon un processus complexe, Hérodote parle d’abord de l’usage de recourir à des surnoms de douze dieux pris par les Grecs aux Égyptiens puis de l’usage d’attribuer des noms aux dieux).
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La référence aux « dieux grecs » et aux « dieux des Grecs » dans l’Enquête d’Hérodote et ailleurs. Que recouvre cette catégorie ? Les dieux considérés comme grecs transcendent les cités particulières, les Grecs les honorent dans les sanctuaires prévus à cet effet. Dans l’emporion de Naucratis (delta du Nil), dont parle Hérodote et où il situe un sanctuaire appelé Hellenion, on a mis au jour des dédicaces « aux dieux des Grecs », « un ensemble auquel il est pertinent de s’adresser rituellement dans un lieu spécifique où ils ont été convoqués à cette fin » (p. 114).
Un dieu conserve-t-il, ou non, une unité derrière la multiplicité des cultes qu’il reçoit ? Qu’en est-il de la relation entre le nom d’un dieu et les surnoms (ou épiclèses, terme à définir) attribués à l’échelle locale ? Les Grecs honorent une pluralité de dieux, et chaque dieu est potentiellement envisageable « au pluriel ». Méthodologie de travail et sources, le travail avec Gabriella Pironti (EPHE). La relation entre théonymes et épiclèses n’est pas celle d’un éclatement de la figure divine. « Les épiclèses ne mettent pas en jeu des forces centrifuges telles qu’elles atomiseraient en autant de divinités singulières la figure du dieu auquel elles s’appliquent, en la rendant méconnaissable » (p. 123). Exemple d’Aphrodite.
Une évocation de la pratique sacrificielle. Les Grecs croyaient-ils en leurs dieux ? Le problème de la croyance en contexte polythéiste. Que signifie le syntagme « nomizein tous theous » utilisé par Hérodote dans l’Enquête (p. 166 et s.) ? Reconnaître les dieux et leur rendre les hommages qui leur sont dus.
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