Cinquante-septième numéro de Chemins d’histoire, quinzième numéro de la deuxième saison
Émission diffusée le dimanche 10 janvier 2021
Le thème : L’ordre chrétien du temps
L’invité : François Hartog, directeur d’études émérite à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, auteur de Chronos. L’Occident aux prises avec le temps, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 2021.
Le canevas de l’émission
Une réflexion sur le temps. Un livre qui s’inscrit dans le sillage de précédents, en particulier le grand livre initialement paru en 2003 (au Seuil), livre intitulé Régimes d’historicité, Présentisme et expériences du temps, un ouvrage traduit dans plusieurs langues, suivi de deux autres, Évidence de l’histoire. Ce que voient les historiens (éd. EHESS, 2005, rééd. Gallimard, coll. Folio) et Croire en l’histoire (Flammarion, 2013, rééd. coll. Champs). Concepts-clé à expliquer d’emblée : régimes d’historicité et présentisme. La notion de régime d’historicité permet de s’interroger sur les modes d’articulation des trois catégories du passé, du présent et du futur. Présentisme : régime d’historicité où le présent tend à l’emporter sur le passé et le futur. Régime d’historicité, un concept préféré à celui de régime de temporalité. Toujours partir du contemporain. Aborder notre rapport au temps par le biais des crises ou des brèches du temps.
Les trois concepts qui structurent l’ouvrage : Chronos, Kairos et Krisis. Trois concepts grecs… pour appréhender le temps chrétien, le régime chrétien d’historicité. Chronos : le temps ordinaire, le temps de la vie, le temps qui s’écoule. Chronos dédoublé. De nombreuses constructions mythologiques retiennent le dédoublement du temps et le contraste entre éternité / sempernité et temps. Kairos, le temps à saisir, l’instant crucial. Voir comment le poète Posidippe de Pella fait parler une statue sculptée par Lysippe vers 330 avant notre ère, une figuration de Kairos sous les traits d’un jeune homme. Lecture 1 (p. 23). Et Krisis ? Le jugement, un concept qui n’est pas directement temporel mais qui implique une opération sur le temps. Un terme utilisé notamment par la médecine hippocratique.
Trois concepts mobilisés par les traducteurs de la Bible en grec (la Septante, traduction à partir du IIIe s. av. JC). Les traducteurs ont recours aux trois concepts, repris et transposés dans le Nouveau Testament. Ces concepts fournissent « l’armature d’une façon nouvelle et singulière de penser le temps » (p. 30). Quel contenu pour ce trinôme chez les anciens prophètes ? Dans les évangiles (rédigés en grec dans la seconde moitié du Ier s. ap. Jésus-Christ) ? La vie de Jésus a certes une place dans le temps, mais surtout elle manifeste ce temps autre qui est celui du kairos. Voir p. 53 (Marc, 1, 14-15, « Jésus vint en Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : ‘C’est l’instant, le règne de Dieu est proche’ », C’est l’instant, ou plutôt Le Kairos est rempli, accompli). Perspectives apocalyptiques. Voir aussi Marc, 13, 33, « Prenez garde, chassez le sommeil, car vous ne savez pas quand c’est l’instant (kairos) ». L’apocalypse (le dévoilement), ce sera la fin de ce temps kairos, ouvert avec l’Incarnation. Un écart entre Kairos et Krisis, le Jugement Dernier. Voir p. 54. Dans les écrits pauliniens et dans l’Apocalypse de Jean, quels usages des concepts ? Au total, une économie inédite du temps (p. 77), un présentisme apocalyptique. « De l’écart instauré entre Kairos et Krisis découle la distinction capitale entre la fin des temps et le temps de la fin qui, tel un coin, va se trouver désormais fiché dans le temps chronos » (p. 81).
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Comment l’ordre chrétien du temps se diffuse-t-il et comment ce nouveau régime réussit-il à informer, à transformer les rapports au monde et au temps, avec une année liturgique qui rythme la vie des fidèles et jusqu’à faire de l’Incarnation la date pivot du monde ? Un trinôme qui s’empare des têtes, des cœurs et d’abord des calendriers ! « Jeté par les premiers chrétiens, le filet s’est déployé jusqu’à enserrer tous les temps païens, progressivement encadrés, colonisés, subvertis » (p. 126). L’installation de l’Incarnation comme axe de la chronologie universelle est l’aboutissement du travail engagé par les premiers chronographes chrétiens (Julius Africanus, Eusèbe de Césarée, Orose, Augustin). Comment le calcul de la date par Anno Domini s’est-il substitué au calcul par Anno Mundi ? Long processus et intervention décisive de Bède le Vénérable (VIIe-VIIIe s., moine et lettré anglo-saxon, p. 124). La diffusion et le triomphe du temps chrétien passent aussi par des formes de négociation avec Chronos, le temps du monde. Quelles stratégies et quels acteurs ? Les Réformes protestantes, une rupture ?
Comment la déconstruction de l’ordre chrétien du temps s’opère-t-elle ? Dissonances, fissures, failles. La fragilisation du régime chrétien d’historicité. Exemple avec le jésuite Denis Péteau (1583-1652). Le temps moderne, tel qu’il se dégage à partir du XVIIIe siècle. La géologie fait sauter la borne des six mille ans. Condorcet introduit l’idée de progrès indéfinis (Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain). Donc, une ouverture vers l’aval et vers l’amont. Chronos s’autonomise et s’impose, se débarrasse du ciseau du temps de la fin et de la fin des temps (p. 252-253). Lecture 2 (voir p. 214-215). Quel présentisme aujourd’hui ? Un présentisme bien différent du présentisme chrétien, un présentisme qui fabrique à chaque instant le passé et le futur dont il a besoin. Mais un présentisme qui, à travers le concept d’anthropocène notamment, réintroduit des bornes (la fin serait celle du monde tel que nous l’avons organisé).
La pandémie actuelle confirme-t-elle ou infirme-t-elle les analyses de François Hartog ?
Une référence complémentaire
Un entretien avec Florian Louis autour du livre publié par François Hartog, entretien publié en octobre 2020.
