Emission 49 : Maîtres et domestiques dans la France moderne, avec Nicolas Schapira

Quarante-neuvième numéro de Chemins d’histoire, septième numéro de la deuxième saison

Émission diffusée le lundi 26 octobre 2020

Le thème : Maîtres et secrétaires dans la France moderne

L’invité : Nicolas Schapira, professeur à l’université Paris-Nanterre, auteur de Maîtres et secrétaires (XVIe-XVIIIe siècles). L’exercice du pouvoir dans la France d’Ancien Régime, Albin Michel, 2020.

Le canevas de l’émission

Le projet du livre. Secrétaire, un mot redoutable ! On peut partir de la définition proposée par le Dictionnaire de l’Académie française (éd. 1694), texte cité par Roger Chartier dans la préface du livre : « Secrétaire. Celui dont l’emploi est d’écrire pour son maître, de faire des lettres, des dépêches pour son maître, pour celui dont il dépend ». Le service de la plume et la relation de domesticité. Deux traits communs à tous les secrétaires (ou presque, dit Roger Chartier). Une histoire des secrétaires, de tous les secrétaires ? Un livre qui se penche sur le monde des secrétaires qui accomplissent « pour le compte de leurs patrons les tâches qui forment la matière même de l’action politique, des pratiques administratives jusqu’aux interventions nécessités par l’urgence de l’événement ». Les secrétaires présents auprès des princes, des aristocrates, des membres du haut clergé, des magistrats, dans les administrations centrales, les ambassades et les intendances, auprès d’officiers de tout poil. Une étude qui inclut les secrétaires d’État (ministres). Elle comprend les commis (à distinguer des secrétaires mais qui peuvent en être rapprochés) et les domestiques de plume des gens de lettres. Les secrétaires d’institution et les commis de boutique sont écartés. En bref, on s’intéresse aux secrétaires qui ont un rapport avec le / les pouvoir(s) et les lieux de pouvoir. Un livre qui porte moins sur les secrétaires que sur la relation maîtres-secrétaires. Lecture d’un extrait de la Physiologie de l’employé, un texte signé Honoré de Balzac et paru en 1841, texte cité p. 14-15 et p. 279. Déplier ce qu’écrit Balzac. La figure du secrétaire, un archaïsme apparent qui a survécu à la bureaucratie rationnelle. Récuser l’idée selon laquelle l’histoire de la monarchie française à l’époque moderne serait celle d’une bureaucratisation croissante, où la figure du commis supplante celle du secrétaire, où les logiques administratives s’imposent aux dépens des logiques de clientèle. La relation de domesticité perdure et pénètre même les pratiques des administrations.

Quelle histoire ? « Un livre d’histoire sociale du travail politique qui regarde un fait anthropologique » (p. 15). De l’impossibilité d’une histoire sociale classique : comment constituer des bases de données à partir de profils si variés, qui sont parfois secrétaires un temps, un ensemble de personnes qui ne forment ni corps, ni compagnie ? Une réflexion sur le pouvoir, les pouvoirs, les lieux de pouvoir. Une approche circulatoire et relationnelle du pouvoir. Une tentative, à l’occasion (en particulier sur le chapitre consacré à l’action de Colbert, en 1650), pour proposer une « démarche microhistorique et interactionniste » (p. 164 et s.). Appliquer la démarche de Giovanni Levi (Le Pouvoir au village, trad. fr. Gallimard, 1989), dans une logique foucaldienne. Une réflexion sur l’écrit. « L’écrit est toujours action » pour Nicolas Schapira, dit Roger Chartier. Généalogie personnelle du projet depuis la thèse consacrée à Valentin Conrart (1603-1675), premier secrétaire perpétuel de l’Académie française, qui a un rôle clef dans les milieux littéraires parisiens, Conrart cité une seule fois dans l’ouvrage (p. 96) pour signaler son petit texte De l’origine du mot de secrétaire, un document conservé dans les Recueils Conrart à l’Arsenal.

Quelles sources ? Foisonnement et multiplicité. Archives et monuments de papiers. Aux risques d’une histoire impressionniste ? Quel courant historiographique ? Historiographie, longue et importante, des relations de clientèle, historiographie de l’État, de l’absolutisme. Le dialogue avec la sociologie (voir notamment la conclusion, autour d’un article de Pierre Bourdieu) et les sciences politiques. Concepts mobilisés. La notion d’agency.

Virgule

Quelques points saillants du livre (1). Panorama chronologique. Les premiers secretarii des Xe-XIIe s. se rencontrent dans les chapitres cathédraux ou monastiques. De l’importance du secret (voir l’étymologie). Les notaires-secrétaires du roi émergent à partir du règne de Philippe Le Bel. À l’aube de l’époque moderne, les choses semblent s’organiser autour des secrétaires du roi… et des autres, à la fortune et au statut moins établis. Retour sur les secrétaires du roi, rouage essentiel de l’État de finances à l’époque moderne et qui ne sont pas au cœur du livre. Le XVIe siècle passe pour avoir été l’âge d’or du secrétaire, conseiller privilégié du prince au temps de Machiavel, lui-même secrétaire de la République de Florence, avant un effacement durant les deux siècles qui suivent. Réalités et théorisation. Face à la bureaucratisation et à la montée des commis, le noyau opérationnel formé par le maître et son secrétaire particulier perdure voire prospère au sein de l’administration aux XVIIe et XVIIIe s. Pourquoi et comment ?

Quelques points saillants du livre (2). Profils et figures. Quel profil social des secrétaires ? Une grande diversité, des cumuls de fonctions et de statuts. Un exemple : Claude de Boze, secrétaire particulier de Claude Pellot, premier président du parlement de Normandie, entre la fin des années 1660 et le milieu des années 1680, un officier d’une cour souveraine qui se présente comme domestique (p. 29-30). Figure de Louis Videl (1598-1675), au service du duc de Lesdiguières (1543-1626), à partir de 1624, puis du maréchal de Créquy, chassé en 1636, un secrétaire-auteur (Le Mélante, 1624, une biographie de Lesdiguières, 1638). Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne (1636-1698, voir p. 191-192, secrétaire d’État des affaires étrangères conjointement avec son père entre 1658 et 1663, enfermé 18 ans à Saint-Lazare à partir de 1674), auteur de Mémoires (texte commencé en 1680). Secrétaire d’État et néanmoins secrétaire. L’écrit comme action. Les Mémoires de Brienne, une ouverture une histoire de l’usage sociopolitique du pouvoir. Toussaint Rose (1615-1701), le secrétaire de Mazarin avant de devenir la « main » de Louis XIV.

Le Mélante, roman signé Louis Videl et paru en 1624 ; l’Histoire de la vie du connestable de Lesdiguières…, le grand œuvre de Louis Videl, un texte publié initialement en 1638

Éléments de conclusion.

Un article de synthèse

On peut lire l’article de Nicolas Schapira paru dans les Mélanges de l’Ecole française de Rome, Italie et Méditerranée modernes et contemporaines, 2019, 131-1, « Commis et secrétaires : l’empreinte domestique des administrations d’Ancien Régime », p. 115-128, article disponible en ligne.

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