Quarante-troisième numéro de Chemins d’histoire, premier numéro de la deuxième saison
Émission diffusée le dimanche 13 septembre 2020
Le thème : Le Maghreb par les textes, XVIIIe-XXIe siècle
Les invités : Charlotte Courreye, maîtresse de conférences à l’université Jean-Moulin-Lyon 3, et Augustin Jomier, maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), avec la participation d’Annick Lacroix, maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre, coauteurs de Le Maghreb par les textes, XVIIIe-XXIe siècle, Armand Colin, 2020.
Le canevas de l’émission
Bulle sonore d’ouverture avec deux élèves en classe de sixième.
Le projet de l’ouvrage. « Offrir des documents inédits ou oubliés » à des enseignants, des étudiants (auxquels est dédié le livre), des curieux de l’histoire du Maghreb. Un ouvrage inspiré du Moyen-Orient par les textes, livre publié chez le même éditeur en 2011 par Anne-Laure Dupont, Catherine Mayeur-Jaouen et Chantal Verdeil. Plus de cent documents sont ici publiés autour de l’histoire du Maghreb. Que signifie ce dernier terme ? Les territoires de l’Occident musulman ; un ensemble, qui comprend l’Algérie, la Libye, le Maroc et la Tunisie, marqué par une commune proximité de cultures berbérophones et arabophones, musulmanes et juives. Un héritage politique en partage (avec des contrastes entre l’ouest marocain et l’est marqué par la présence ottomane ; la colonisation ; les enjeux de la décolonisation). En dépit des spécialités respectives des auteurs, l’ouvrage ne concerne pas seulement l’Algérie. Le choix de faire varier les échelles d’analyse. Un espace chronologique large, du XVIIIe siècle jusqu’en 2019 (mouvement de contestation, hirak, en Algérie). Le livre apparaît comme un recueil documentaire, précédé d’une courte introduction générale, doté d’un lexique (mais pas d’index), un recueil où les documents, très variés, faisant entendre de multiples voix de l’histoire du Maghreb : femmes, sujets coloniaux, fellahs, émigrés, etc. Des types de documents écrits variés (textes, pas d’images). Le recueil est organisé en deux parties (première partie politique et événementielle ; deuxième partie, ouverte à l’histoire sociale, urbaine, rurale, économique, religieuse, culturelle). La fabrication de l’ouvrage. Comment choisir les textes ? Précision : on ne retrouvera pas dans ce recueil des documents très connus comme, par exemple, le traité du Bardo, lequel instaure le protectorat de la France sur la Tunisie, en 1881. Les compétences linguistiques mobilisées. La question des textes berbères.
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Point sur la situation politique dans l’espace maghrébin à la fin de l’époque dite moderne. Le poids inégal de l’Empire ottoman. À Alger, la milice turque se maintient plus longtemps que dans les autres provinces arabes (voir texte 2, un extrait de l’Histoire du royaume d’Alger par Jacques-Philippe Laugier de Tassy, un texte publié en 1725). Certains territoires apparaissent comme très autonomes, comme celui du pacha de Tripoli au début du XVIIIe siècle, Ahmad Ier (texte 3), dont le règne (1711-1745) est raconté au XIXe siècle par Laurent Charles Féraud. La situation au Maroc est bien différente (hors de l’Empire ottoman), un royaume partiellement réunifié au XVIIe siècle. Premier sultan alouite : Moulay Rashid ; le frère de ce dernier, Moulay Isma’il, règne pendant 55 ans (1672-1727), affirme la domination du pouvoir central (explication du mot mahkzen) et forme une armée de dépendants (texte 5).
Modernisation et colonisation. Voir les chapitres 2 et 11 de l’ouvrage. La prise d’Alger, en 1830, une date-césure ? Lecture, extrait d’un poème recueilli par le folkloriste arabisant Joseph Desparmet (1863-1942), qui l’a entendu en 1905. Rôle de la France. Rôle d’autres puissances européennes, par exemple l’Espagne (guerre de Tétouan, racontée par Ahmad al-Nasiri, qui, dans son Kitab-al-istiqsa, publiée initialement au Caire en 1894, fait de cet épisode un tournant de l’histoire du Maroc (« Cette affaire de Tétouan a déterminé la chute du prestige du Maroc et l’invasion du pays par les chrétiens », citation p. 43). Formes multiples des interventions extérieures (la situation de la communauté juive est prétexte à ingérence au Maroc ; les expéditions scientifiques, par exemple dans le Hoggar en 1906, textes 16 et 17). Le Maghreb colonial au début du XXe siècle (présence française, espagnole, puis italienne). Du XIXe au XXe siècle, modernisation et réformes, dynamiques exogènes… et endogènes (voir le très intéressant extrait des Réformes nécessaires aux États musulmans, publié à Paris en 1868 par le général Khayr al-Din, texte 13).
Nationalismes et indépendances. La montée des tensions vue à travers le compte rendu d’une visite, à Pau, en 1946, d’un frère musulman égyptien au bey Moncef, déposé en 1943 par le général Juin, au nom du général Giraud, exilé en Algérie puis à Pau de 1945 à sa mort, survenue en 1948 (texte 23, p. 78-80). Quelques documents sur les indépendances et la guerre d’Algérie (voir aussi le chapitre 11), sans que cette dernière ne bénéficie d’un chapitre à part (voir textes 25, 59, 60, 83 et 99, témoignage de Yamina Cherrad Bennaceur, une femme dans l’ALN, témoignage publié en 2017, « Je n’ai pas ressenti de rejet de la part de mes compagnons de cette époque », à nuancer sans doute, p. 312).
Les indépendances depuis les années 1960. Alger, la Mecque des révolutionnaires. L’accueil du festival panafricain, en 1969 (texte 28, témoignage de Boussad Ouadi, étudiant à cette époque, interrogé en 2014, y raconte sa fascination pour la chanteuse Miriam Makeba et le saxophoniste Archie Shepp, un festival qui a permis de mieux comprendre ce qu’était l’Afrique, extrait sous la forme d’une bulle sonore, voir p. 95).
L’histoire politique du second XXe siècle et du début du siècle suivant est scandée par quelques événements mis en valeur dans le recueil, comme la Marche verte de 1975 (texte 29), le Printemps berbère de 1980 (textes 31), les printemps arabes, le Hirak algérien. Voir le témoignage d’une blogueuse tunisienne Lina Ben Mhenni (1983-2020, texte 36), très active entre 2008 et 2011, jusqu’à la chute de Ben Ali. Bulle sonore avec Annnick Lacroix.

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Quelques aperçus sur les sociétés maghrébines du XIXe au XXIe siècle. Les Maghrébins n’ont pas attendu les colonisateurs pour échanger, se déplacer, communiquer (texte 55) et, jusqu’au milieu du XXe siècle, le Maghreb est très majoritairement une société de fellahs, de petits paysans (plus des trois-quarts des Maghrébins vivent à la campagne vers 1950). Une réalité rurale difficile à appréhender car les sources sont souvent produites par des citadins lettrés (textes 65-66). Les dépossessions foncières produites par la colonisation et la croissance démographique rapide ont ensuite poussé les familles à envoyer certains de leurs membres en ville, puis en métropole (exemple d’un texte de l’Algérienne kabyle, une lettre datée de 1932, lettre adressée par une Algérienne kabyle au chef du service des affaires indigènes nord-africaines, réclamant des nouvelles d’un fils émigré en métropole et qui a « abandonné » sa mère depuis 12 ans, texte 57, p. 182, texte présenté par Annick Lacroix sous la forme d’une bulle sonore). La diversité des sociétés maghrébines est importante, y compris pendant la colonisation, il ne faut pas réduire les choses à deux blocs monolithiques Maghrébins / Européens. Le groupe des Européens est particulièrement bigarré. La question des ségrégations socio-spatiale et du racisme est posée.
Identités et questions religieuses (voir le chapitre 9, mais aussi les chapitres 5 et 6). La présence juive est abordée à travers plusieurs documents (16, 43, 48, 75, 76). Voir en particulier le document 75, qui revient sur l’émeute anti-juive et le sac d’Alger de 1805, à travers un poème judéo-arabe traduit et publié en 1888 par Isaac Bloch, alors grand rabbin d’Alger et d’Algérie. Le monde chrétien, abordé en particulier à travers les messages de l’archevêque d’Alger Léon-Étienne Duval à la fin de la guerre d’Algérie (nommé cardinal en 1965 seulement, reçoit la nationalité algérienne en 1966, archevêque d’Alger jusqu’en 1988, mort en 1996, documents 83, voir l’appel du 20 mars 1962, « A tous, je redis qu’il n’y a d’espoir que dans la compréhension réciproque, la collaboration fraternelle, la réconciliation, la volonté de paix », citation p. 261). La diversité de l’islam et les rivalités que cela génère dans l’espace d’étude occupent une place non négligeable dans l’ouvrage. Le soufisme, évoqué notamment à travers la figure du Marocain Ibn ‘Ajiba, auteur d’une autobiographie dont quelques extraits sont publiés (texte 74). À propos de l’ibadisme, courant minoritaire de l’islam, distinct du sunnisme et du chiisme (on trouve des communautés ibadites et berbérophones au Mzab, en Algérie, dans l’île de Jerba, en Tunisie, et dans le Jabal Nafusa, en Libye), voir les conseils d’un lettré algérien, Abu al-Yaqzan à des Libyens (communauté ibadite et berbérophone de Nalut), en 1934 (texte 82). Face aux sunnites malékites et face au colonisateur. « Dessiner l’idéal islamique de l’homme », à travers la pensée du Marocain Abdesselam Yassine (voir les extraits d’un ouvrage écrit en français, La révolution à l’heure de l’islam, peu après la révolution islamique, en Iran, début 1979). « Islamiser la modernité » et non pas « moderniser l’islam » (p. 263).
Épilogue : réconciliations et fractures du monde maghrébin, ici algérien (mise en parallèle du discours de « réconciliation » du président Bouteflika, en 2005, texte 100, et de la lettre de démission du même, le 2 avril 2019).