Deux-cent-quarante-et-unième numéro de Chemins d’histoire, quatorzième de la septième saison
Émission diffusée le mercredi 31 décembre 2025
L’invitée : Claudia Moatti, professeure émérite à l’université Paris 8, professeure à l’université de Californie du Sud, à Los Angeles, autrice de Sur la politique. Cinq grandes leçons romaines, éditions de l’Ecole française de Rome, « Lectures méditerranéennes », 2025.
Le thème : Comprendre les grandes notions romaines, res publica et les autres
Le canevas de l’émission
Un questionnement qui part du présent, plus précisément de cette « période de désarroi » dans laquelle nous vivons (p. 9). Pourquoi se référer au passé antique… alors que l’influence de l’Antiquité décline depuis le XVIIIe siècle, cédant même parfois à la place à une forme de procès contre la culture classique ?
Le projet : examiner la double historicité de notions complexes : celle de la langue à laquelle elles appartiennent et celle des enjeux portés par les différents acteurs (manière dont les dirigeants, juristes, écrivains, citoyens se sont saisis du sens des mots, les raisons pour lesquelles ces mots sont devenus l’objet de controverses ou de conflits politiques). Lexicographe et logopolitique. Res publica, seditio, populus, libertas, societas : pas de simples « catégories historiques » mais des « notions de combats » dans l’Antiquité et plus tard. Des catégories embrouillées par les relectures postérieures et contemporaines.
Pourquoi ces cinq notions ? Dans le prolongement de travaux précédents : voir en particulier le livre paru chez Fayard, en 2018, Res Publica. Histoire romaine de la chose publique.
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Concentrons-nous sur la notion de « res publica ». Avoir en tête immédiatement que l’expression « République romaine », utilisée encore aujourd’hui pour désigner la période de 509 à 27 avant notre ère, est une invention moderne. Est-il pertinent de traduire res publica par république (avec un petit r) pour se référer à une forme d’organisation politique émanant du peuple et visant à assurer le bien commun de la collectivité (voir p. 26) ? Pas forcément.
Partir du Ier siècle avant notre ère (Salluste, Cicéron) : pourquoi ? Voir la deuxième des Lettres à César de Salluste. Cf. les dialogues de Cicéron, écrits entre 54 et 51, le De re publica et le De legibus. La réflexion de Cicéron comme aboutissement d’un processus de formalisation de la res publica commencé au siècle précédent (p. 29). Chez Cicéron, conceptualisation d’une vision unifiée de la chose publique. « En proposant des définitions abstraites de res publica, populus, utilitas communis, Cicéron faisait entendre que la communauté idéale formait non une association de parties, encore moins une simple communauté matérielle, mais une societas iuris, un ordre juridique unifié dans ses fins » (p. 31). Explications. La notion de parties et celle de constitution mixte, la seule forme institutionnelle vraiment capable d’assurer permanence et stabilité. La res publica, selon Cicéron, subsume et transcende tous les liens antérieurs (p. 36). Res publica abstraite, verticale et unifiée. A l’origine de la notion de res publica. Au début de la République romaine, res publica ne désigne ni une communauté unifiée, ni des biens publics, ni le bien commun, encore moins un régime politique. Née de l’interaction conflictuelle entre deux groupes (patriciens et plébéiens), elle constitue un espace d’interactions sur des affaires communes. Parallèle avec la notion de civitas. Place du conflit dans la conception et l’évolution de la res publica. De l’importance des sécessions de la plèbe, celle de 494 qui conduit à la création des tribus de la plèbe, l’agitation de 456 qui permet le vote d’une loi transformant la colline de l’Aventin en propriété publique pour y installer des plébéiens, la sécession de 451 qui mène à la rédaction des XII Tables. Plèbe et populus. Claudia Moatti insiste sur la part de pluralité dans la conception première de la res publica. Concept d’altéronomie (altérité, alternative, altération). Pendant longtemps, la République romaine fut une association asymétrique de différentes parties, traversée par des conflits politiques et sociaux. Cela change au IIe siècle. Pourquoi ? La tension entre association et division se maintient jusqu’au début du Principat, malgré la proclamation cicéronienne.
Conception unitaire et verticale de la res publica reprise sous l’Empire. Voir un denier de l’an 12 avant notre ère, où on voit Auguste relever la res publica agenouillée, représentée pour la première fois en allégorie féminine. Auguste rend à la res publica sa verticalité. Souci de la res publica affichée par tous les empereurs. Eternité de la res publica mais le peuple est dépossédé de toute fonction de gouvernement. A la fin du IIIe siècle, populus finit par désigner un groupement humain sans valeur politique. Res publica comme res summa, ce dernier syntagme est utilisé dans un tout autre contexte chrétien. La res publica dans les variations médiévales et au-delà.
Penser depuis 2025 avec Rome. Lire les derniers mots du texte, p. 249-250. Les chemins de Claudia Moatti.
