Emission 237 : Le Sahel aujourd’hui, avec Abdourahamane Idrissa

Deux-cent-trente-septième numéro de Chemins d’histoire, dixième de la septième saison

Émission diffusée le dimanche 21 décembre 2025

L’invité : Abdourahamane Idrissa Abdoulaye, enseignant et chercheur auprès de l’African Studies Centre de l’université de Leyde, aux Pays-Bas, ainsi qu’à l’Africa Institute de Sharjah aux Emirats arabes unis.

Le thème : Le Sahel aujourd’hui

Le canevas de l’émission

Présentation générale du parcours et des travaux de l’auteur. Thèse (Université de Floride, 2009, thèse en science politique, sous la direction de Leonardo A. Villalon) : The Invention of Order. Republican Codes and Islam Law in Niger. Objet et thématique du travail. Cheminements et élargissement des travaux. Parmi les travaux plus récents : The Politics of Islam in the Sahel. Between Persuasion and Violence, Londres, Routledge, 2017 (traduction en français par les soins de l’auteur, texte publié en 2018, EPGA, Islam et politique au Sahel. Entre persuasion et violence). Travaux plus récents. Espace et chronologie d’étude. Profondeur historique.

Virgule

Point sur la situation politique au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Mali : soubresauts depuis au moins 2012 et encore davantage depuis 2020 (renversement d’Ibrahim Boubacar Keïta, élu président en 2013, réélu en 2018, renversé par un coup d’Etat en 2020, avant que le président et le président de transition ne soient eux-mêmes renversés en 2021 – le président de la Transition est Assimi Goïta depuis fin mai 2021). Au Burkina Faso : situation complexe aussi depuis que Blaise Compaoré a quitté le pouvoir (face à un soulèvement populaire) en octobre 2014. Coup d’Etat en 2015, qui échoue avant l’élection de Roch Marc Christian Kaboré, réélu en 2020 et chassé par un coup d’Etat en janvier 2022. Contexte d’insécurité et d’attaques et de violences djihadistes depuis 2015. Paul-Henri Sandaogo Damiba est président de la Transition, lui-même renversé le 30 septembre 2022. Lui succède Ibrahim Traoré, bientôt déclaré chef de l’Etat (né en mars 1988). Au Niger : coup d’Etat en 2010, élections libres de 2011 et présidence de Mahamadou Issoufou (réélu en 2016), dans un contexte d’insécurité croissant. Mohamed Bazoum élu président en février 2021. Coup d’Etat de 2023, destitution de Bazoum (qui refuse de démissionner et est toujours séquestré aujourd’hui). Abdourahamane Thiani est proclamé chef du nouveau régime (président en mars 2025).

Une fièvre souverainiste. Aux dépens de la France (retrait spectaculaire du Mali, moins dix ans après le lancement de l’opération Sahel : dernier détachement de l’opération Barkhane quitte le Mali à la mi-août 2022 ; la fin de l’opération Barkhane est officialisée le 9 novembre 2022 ; fin des opérations des troupes françaises sur le sol du Burkina Faso au début de 2023 ; les derniers soldats français quittent le Niger le 22 décembre 2023 ; fin janvier 2025, c’est la fin de la présence militaire française au Tchad et au Sahel ; France met fin à sa présence militaire permanente au Sénégal en juillet 2025). La France considérée comme le véritable ennemi, incarnation d’une forme de néocolonialisme impénitent. Militaires apparaissent comme des combattants pour la reconquête de la souveraineté perdue (Mali, Burkina Faso, Niger). Comment expliquer la force du discours anti-Français ? Imaginaire et théories complotistes mais aussi bien entendu une politique française enracinée. Militaires ont beau jeu de se présenter en sauveurs du Sahel. Aux dépens de la CEDAO (établissement de l’Alliance des Etats du Sahel ou AES entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso en septembre 2023, organisation transformée en confédération en juillet 2024 ; les trois pays quittent la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest en janvier 2025). Acte symbolique ?

Analyse de l’auteur sur le souverainisme sahélien se fonde 1-sur le diptyque « Autocritiques » / « Victimes ». A la question « A qui la faute », les premiers répondent « à nous », les seconds « aux autres, et surtout, aux Blancs, à l’Occident ». Opposition simplificatrice mais tout de même valable. Quelles implications, quelles conséquences ? En termes de régime politique idéal, de rapport à l’histoire, de positionnement politique (gauche / droite). Sur la question de la souveraineté aussi. Tendance victime est plus puissante que la tendance autocritique. Produit d’une histoire complexe. Moment délétère des années 1980-1990 où l’autocritique devient très difficile parce qu’elle renforce la critique des tares africaines qui vient d’Occident (tout cela se poursuit dans les années suivantes, renforcé par des phrases comme « La France, économiquement, n’a pas besoin de l’Afrique », 19 mai 2006, à Bamako, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur ; « L’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire », discours de Dakar, 26 juillet 2007, par le même, alors président de la République). Le libéral-humanisme est identifié à l’Occident tandis que les conservateurs-identitaires sont ceux qui définissent leurs attitudes et opinions à travers l’essence culturelle de l’Afrique (essence islamique ou christianisée selon les contextes). Ce dernier camp est dominant en Afrique alors qu’il y a un équilibre en Occident. 2-Comment s’est formée la bulle souverainiste au Sahel. Elément déclencheur : la présence de forces étrangères (forces armées ou forces humanitaires et d’assistance) qui a déclenché un mouvement de panique. Il y a un complot occidental contre le Sahel, disent beaucoup (exemple, « les Occidentaux organisent la destruction de nos pays par les djihadistes afin de faire main basse sur leurs énormes richesses minières »). Tout cela est appuyé par des traumatismes récents (chute du colonel Khadafi). La bulle souverainiste s’est faite de manière différente dans chacun des trois pays (Mali, bulle a précédé le putsch ; Burkina Faso, bulle a accompagné le putsch ; Niger, bulle a suivi le putsch). Moment d’hubris (humiliation sadique infligée à l’ambassadeur de France au Niger en 2023, Sylvain Itté, qui a finalement quitté Niamey en septembre 2023). Une bulle souverainiste qui a attiré des groupes de spéculateurs différents : panafricanistes type XXIe siècle, religieux et culturalistes. 3-Captation par les militaires… qui ont crevé la bulle. Question incidente : l’avènement des militaires est-il un retour à la situation coloniale (Achille Mbembé) ? C’est plus compliqué que cela…Quoi qu’il en soit, la bulle a crevé ; les pays sont dirigés par une faction militaire entourée d’une clientèle et de tous ceux que satisfait l’apparent triomphe de la tendance victime.

Le Sahel, entre salafisme et souverainisme ?

Le président Bazoum (troisième à partir de la gauche), trois semaines après le coup d’Etat de la fin juillet 2023