Deux-cent-trente-quatrième numéro de Chemins d’histoire, septième de la septième saison, épisode enregistré en public aux Rendez-vous de l’histoire de Blois, le samedi 11 octobre 2025
Émission diffusée le mardi 11 novembre 2025
L’invité : Julien Théry, professeur d’histoire médiévale à l’université Lumière-Lyon 2, préfacier de Carlo Ginzburg, Dialogue avec Marc Bloch, Presses universitaires de Lyon, 2025, ouvrage postfacé par Manuela Martini (traductions des textes par Manuela Martini, Martin Rueff et Julien Théry).
Le thème : Dialogue à distance entre Marc Bloch et Carlo Ginzburg
Le canevas de l’émission
Julien Théry et son rapport avec la pensée de Marc Bloch. Genèse et épanouissement. La figure, l’homme. Les travaux de l’historien médiéviste. La méthodologie historienne.
Carlo Ginzburg et ses premiers contacts avec la figure et les travaux de Bloch. Lecture 1. Extrait de la conférence donnée par Carlo Ginzburg au colloque de Lyon le 12 décembre 2024, texte traduit de l’italien par Martin Rueff, lecture assurée par Sofia Mekki, étudiante en master histoire publique de l’Université Paris-Est-Créteil. Commentaire de cette citation. L’Apologie comme porte d’entrée de la pensée blochienne. Enregistrement 1. Lecture des débuts de l’Apologie par Victor et Zi Hao, deux élèves en classe de sixième (année scolaire 2024-2025) dans un collège parisien. Pour Carlo Ginzburg, l’Apologie est une porte d’entrée. Puis viendront les Annales à partir de 1958, Les Rois Thaumaturges, texte découvert dans une bibliothèque de Pise (Dialogue…, p. 76) et dont Carlo Ginzburg préfacera la traduction italienne parue chez le grand éditeur turinois en 1973, préface qui figure dans le recueil publié par les PUL.
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On peut passer en revue quelques-unes des œuvres de Bloch avec lesquelles Ginzburg dialogue et à partir desquelles il déploie ses analyses. En commençant par le discours d’Amiens, discours prononcé par Bloch, alors professeur au lycée d’Amiens, au terme de l’année scolaire 1913-1914, devant des élèves réunis pour la distribution des prix (texte publié en 1914 puis repris dans les Annales en 1950, sous le titre « Critique historique et critique du témoignage »). C’est un texte qui intéresse Carlo Ginzburg qui y revient dans sa note critique des Mélanges historiques de Bloch, note publiée en 1965. De quoi s’agit-il ? Petit aperçu avec l’Enregistrement 2. Lecture d’un extrait du discours d’Amiens par Maxime et Eliott, deux élèves en classe de sixième (année scolaire 2024-2025) dans un collège parisien. Réflexions de méthode « à un stade embryonnaire », nous dit Carlo Ginzburg en 1965 (p. 24), texte « en soi assez décevant » (p. 28). Degré de certitude de l’histoire et des sciences naturelles. A la différence du physicien, l’historien ne peut se servir de la méthode expérimentale et se trouve condamné à recourir aux témoignages des autres. Avec recul et critique. La critique du témoignage posée de manière assez peu complexe, sauf à un moment. Bloch, rappelle Ginzburg, dit notamment ceci : « Ce qui fait la beauté des légendes et leur vérité propre, c’est de traduire fidèlement les sentiments et les croyances du passé. »
Les Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre, texte publié en 1921 dans la Revue de synthèse. Texte important signalé par Carlo Ginzburg, lequel a « l’impression de rentrer dans l’atelier de Marc Bloch » (une « sensation très émouvante »). Ginzburg ne cessera de « retourner [à ce texte], de remettre sur le métier les passages décisifs pour en approfondir la portée, comme en une méditation chaque fois renouvelée, une rumination toujours féconde », dit Julien Théry. Fausses nouvelles et expériences de guerre. Un travail qui fait entrevoir à Bloch « une histoire plus profonde et plus sûre que celle de Langlois et Seignobos » (extrait de la note de 1965, p. 35 dans l’édition de 2025). De quelle manière ? Lecture 2. Extrait des Réflexions, lecture assurée par Sofia Mekki, étudiante en master histoire publique de l’Université Paris-Est-Créteil. De l’intérêt d’étudier les fausses nouvelles au-delà de la correction des erreurs. « Ce qu’il y a de plus profond en histoire pourrait bien être aussi ce qu’il y a de plus sûr », dit Bloch dans l’article de 1921, l’adjectif « profond » est très important pour Ginzburg. Une véritable introduction aux Rois thaumaturges, un thème qui constitue une « gigantesque fausse nouvelle », la croyance dans le pouvoir miraculeux des rois des France et d’Angleterre de guérir les scrofuleux.
Les Rois Thaumaturges (publié en 1924) poursuivent en effet le sillon : « Croyances, ‘impostures’ ou ‘erreurs’ du passé sont non seulement des objets d’histoire légitime, mais peuvent ouvrir à un niveau de réalité plus profond que les faits historiques ordinaires, celui des représentations collectives » (Julien Théry). Vers le « Bloch de la maturité [qui] chercha à trouver un accord entre la rigueur philologique et érudite d’un Seignobos et le goût pour les grands problèmes et l’analyse ‘en profondeur’ d’un Durkheim » (Carlo Ginzburg en 1965, p. 34 de l’éd. de 2025). Qu’est-ce que cette histoire plus profonde ? Une histoire des représentations, des mentalités (Ginzburg a d’ailleurs bien vu que Robert Mandrou était le maître d’œuvre des Mélanges historiques publiés en 1963 et dont il rend compte en 1965 ; différences d’approche des mentalités entre Bloch et Febvre). Que devient cette histoire « plus profonde » dans l’œuvre historienne de Bloch dans les années 1930, avant l’écriture de l’Apologie ?
Au-delà de la lecture par Ginzburg de la pensée historienne de Bloch, il y a une forme d’application aux propres recherches de Ginzburg, une dette tardivement conscientisée, dit l’historien italien. Voir p. 80-81 du volume publié en 2025. Les deux types d’explication traditionnels des phénomènes religieux présenté dans Les Rois Thaumaturges (« L’un, qu’on peut, si l’on veut, appeler voltairien, voit de préférence dans le fait étudié l’œuvre consciente d’une pensée individuelle sûre d’elle-même. L’autre y cherche au contraire l’expression des forces sociales, profondes et obscures ; je lui donnerai volontiers le nom de romantique », p. 80). « En relisant son livre, je me suis rendu compte que l’entrelacement des deux perspectives, la perspective inspirée de Voltaire et la perspective romantique, a agi de manière souterraine sur la recherche qui m’a conduit à tenter de déchiffrer pendant des dizaines d’années le stéréotype du sabbat des sorcières » (p. 81, conférence de 2024).

de Carlo Ginzburg
Précision
La conversation qui a fait le numéro 234 de mes Chemins d’histoire a été enregistrée aux Rendez-vous de l’histoire de Blois, le 11 octobre 2025, soit un mois avant la publication de l’émission. Le 3 décembre suivant, le professeur Théry est suspendu de son université à titre conservatoire. Cette suspension intervient à la suite de divers événements dont la presse s’est fait l’écho. Ont été notamment signalés des posts à caractère antisémite, posts relayés sur les réseaux sociaux de Julien Théry et qu’on ne peut que condamner. Mon incompréhension est d’autant plus grande que j’ai apprécié de converser avec Julien Théry à l’occasion des épisodes 198 (septembre 2024) et 234 de mes Chemins d’histoire. Luc Daireaux, décembre 2025.