Emission 229 : Les cathares, avec Arnaud Fossier

Deux-cent-vingt-neuvième numéro de Chemins d’histoire, deuxième de la septième saison

Émission diffusée le dimanche 14 septembre 2025

L’invité : Arnaud Fossier, maître de conférences habilité à diriger des recherches à l’université de Bourgogne, auteur d’un ouvrage intitulé Les Cathares, ennemis de l’intérieur, La Fabrique éditions, 2025.

Le thème : Les cathares

Le canevas de l’émission

Considérons d’abord l’objectif de ce livre, précisé à la p. 30 : « expliquer de quoi les cathares furent le nom, en prenant au sérieux les sources dont nous disposons, mais aussi en mettant à bonne distance nos fantasmes sur le caractère prétendument ‘précurseur’ des cathares […], pour finalement rendre justice » à ces hommes et à ces femmes. Une synthèse inédite, en tout cas sur cette durée et dans cet espace. Durée ? Entre 1120 et 1330, quelques repères chronologiques. Espace concerné ? Avec quel angle historiographique ? Naviguer entre les eaux occitanniennes et celles du catharisme. Dans le sillage de l’école de Nice. De quoi s’agit-il ? L’hérésie médiévale vue comme une construction intellectuelle des clercs catholiques, sans affirmer qu’il n’y a jamais eu de cathares mais en prenant garde aux visions rétrospectives. Pierre angulaire : le livre dirigé par Monique Zerner, Inventer l’hérésie ? Discours polémiques et pouvoirs avant l’Inquisition, paru à Nice en 1998. Voir aussi les travaux de Jean-Louis Biget, de l’historien australien Mark G. Pegg (né en 1963), A Most Holy War, 2008, ou de l’historien britannique Robert I. Moore (1941-2025), The War on Heresy : Faith and Power in Medieval Europe (2012, trad. en fr. par Julien Théry en 2017, chez Belin).

Suivons la démarche pas à pas (1). D’abord considérer les réappropriations depuis le XIXe siècle. La place des historiens protestants (Charles Schmidt, Histoire et doctrine de la secte des cathares ou albigeois, en 1848, où le catharisme est dépeint comme une religion proto-protestante ; le légendier publié par Napoléon Peyrat entre 1870 et 1872, où les cathares apparaissent comme des apôtres de la liberté de conscience et les ancêtres des camisards, le mythe cathare prenant une couleur régionaliste). Le catharisme récupéré par de multiples courants (même le socialisme). A partir des années 1920, c’est dans la fiction que la mythologie du catharisme trouve sa place (chez le Toulousain Maurice Magre). Intérêt pour l’occultisme et les spiritualités marginales trouve dans le mythe cathare un bon terrain au XXe siècle (voir le roman de Pierre Benoît, Montsalvat, 1959). Multiples ouvrages dont ceux de Michel Roquebert (1928-2020), depuis Citadelles du vertige (1966). Beaucoup de publications qui profitent de la manne touristique et des châteaux prétendument cathares (qui ont intégré la liste du patrimoine de l’UNESCO sous le nom de « forteresses royales languedociennes », voir la tribune récente d’Arnaud Fossier dans Le Nouvel Obs). La « religion cathare » supposée qui fait toujours florès (doctrine et rituels associés, comme le « consolament »), dont les sources viennent de traités et de publications anti-cathares de la fin du XIIe et du XIIIe siècle (voir p. 9 et p. 134 et s., sauf pour le Rituel provençal de Lyon et le Rituel latin conservé à Florence).

(2). La question des sources. Il faut s’y résoudre (p. 24) : nous ne connaissons les cathares que par le biais de leurs détracteurs. Ne peut-on traquer la vision, la culture cathares dans ces textes ? Voir ce que dit l’auteur de l’analyse par Emmanuel Le Roy Ladurie des registres de Jacques Fournier (dépositions des témoins et prévenus entre 1318 et 1325) : Le Roy Ladurie « pèche par littéralisme » (p. 161). Par ailleurs, l’idée de sources perdues relève du fantasme, dit l’auteur qui suit Mark Pegg. Ce qui signifie aussi que nous nommons les « cathares » ou les « hérétiques » avec les mots ou la langue du ou des pouvoirs. « Cathares » (voir ce qu’en dit un moine allemand Eckbert de Schönau, en 1163, qui évoque « la secte des cathares », p. 55, quelle généalogie pour ce terme ?), « hérétiques », « bons hommes » et « bonnes femmes ». Faut-il parler de mouvements hétérodoxes, de « dissidents » ?

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(3). La question des origines. Les ecclésiastiques du temps ont imaginé que les croyances des cathares venaient d’ailleurs, alors que les causes de la contestation sont endogènes (voir ce qu’en dit Julien Théry, cité à la p. 37). La piste de l’Orient a été suivie par certains historiens (l’hérésie cathare serait due à la transmission, depuis l’Orient, du bogomilisme, né supposément en Bulgarie au Xe siècle et s’inspirant du manichéisme). Parmi les arguments : la tenue supposée d’un concile cathare à Saint-Félix-de-Caraman, non loin de Toulouse, en 1167, en présent d’un certain Niquinta ou Nicétas, évêque bogomile venu de Constantinople. Le point sur cette histoire et sur le document qui atteste la tenue du concile, dont l’authenticité n’est pas assurée (une forgerie datant des guerres de Religion ou du XIIIe siècle ?). Plutôt considérer les causes endogènes à la chrétienté latine. L’anticléricalisme (voir l’exemple du mouvement des patarins dans la région milanaise, au XIe siècle, contre les ecclésiastiques corrompus, avec une portée sociale). L’évangélisme (une forme d’insatisfaction religieuse et spirituelle des laïcs face aux structures institutionnelles et à l’ordre hiérarchique voulus par la papauté dans le cadre de la réforme grégorienne) au XIIe siècle (avec des formes et des terrains différents). Un malaise social et culturel. Qui est concerné ? La diversité sociale. Dans le Midi toulousain, le catharisme concerne d’abord une frange déclassée de l’aristocratie. Petite chevalerie. En Italie, poids du monde urbain.

(4). C’est indéniablement le discours des clercs qui fait surgir l’hérésie (voir ce qu’en dit Dominique Iogna-Prat, cité p. 59). Avec quels visages et quelles évolutions, de l’hérésiologie clunisienne de la première moitié du XIIe siècle aux traités anti-hérétiques du tournant des XIIe-XIIIe siècles (le dualisme) ? Pourquoi ce choix de l’Eglise (de faire surgir l’hérésie) ? Pour mieux se redéfinir elle-même ? La logique de l’exclusion et de la punition. L’avènement d’une société de persécution, avec représentations et mécanismes institutionnels (Inquisition à partir du XIIIe siècle). C’est l’idée de Robert I. Moore (voir p. 62, et le livre de Moore, The Formation of a Persecuting Society. Power and Deviance in Medieval Europe, 950-1250, 1987). La volonté d’éradiquer la dissidence se précise à la fin du XIIe siècle. La croisade (à partir de 1209). L’Inquisition à partir de 1231. Les années 1230 et 1240 (le temps des maxi-procès). Jusqu’au XIVe siècle et à la fin des cathares. L’écriture de l’auteur.

Les chemins d’Arnaud Fossier.

British Library, ms. Royal 16 G VI (XIVe siècle) : à gauche le pape Innocent III excommunie des cathares tandis qu’à droite la croisade est lancée avec, à sa tête, Simon de Montfort