Deux-cent-vingt-deuxième numéro de Chemins d’histoire, vingt-septième de la sixième saison
Émission diffusée le lundi 16 juin 2025
Les invités : Etienne Anheim et Paul Pasquali, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et chargé d’études au CNRS, coauteurs de Bourdieu et Panofsky. Essai d’archéologie intellectuelle, suivi de leur correspondance inédite, Minuit, 2025. Avec la participation de Giulia Puma, maîtresse de conférences à l’université de Nice.
Le thème : Erwin Panofsky (re)lu par Pierre Bourdieu
Le canevas de l’émission
Lecture initiale : extrait du cours donné sur Edouard Manet, cours donné le 3 février 1999 par Pierre Bourdieu, citation p. 9. Bourdieu et Panofsky, une longue histoire (voir aussi les Essais d’iconologie, qui paraissent en français en 1967, chez Gallimard). La publication d’Architecture gothique et pensée scolastique, en 1967, traduction d’une conférence publiée en 1951 par Erwin Panofsky, qui donne son titre au livre français, et une introduction à l’édition des œuvres de l’abbé Suger (v. 1080-1151), parue en 1946. Une réunion inédite, divisée en chapitres, accompagnée par une postface de trente pages de Bourdieu et par un index où apparaissent des notions absentes du texte original. Présentation des deux textes de Panofsky et de leur place dans l’œuvre du grand historien de l’art. Le premier texte a fini par effacer le second (Panofsky explore un problème intellectuel qui occupe les chercheurs depuis au moins le milieu du XIXe siècle, celui du sens profond des homologies entre l’architecture des cathédrales gothiques de l’Ile-de-France au XIIIe siècle et la logique interne des œuvres produites dans les universités et les écoles du Nord de la France à la même période), un texte plutôt mal reçu dans le monde anglophone. Les textes découpés en chapitres. La notice biographique en début d’ouvrage (voir p. 80). L’iconographie. L’index. La postface.
De quoi ce livre est-il le nom ? Ce qui intéresse les auteurs : moins l’histoire parallèle de Bourdieu et Panofsky que celle d’un Bourdieu traduisant, commentant et éditant Panofsky à distance. Nécessaire d’appréhender cependant les deux figures en ces années 1960. Erwin Panofsky, le jeune Pierre Bourdieu (a rejoint en 1964 la VIe section de l’EPHE, a publié en 1964 Les Héritiers avec Jean-Claude Passeron, et Le Déracinement avec Abdelmalek Sayad, crée la collection « Sens commun » en 1965). Surtout, retracer une aventure éditoriale et intellectuelle. Moment intellectuel. Archéologie intellectuelle (lecture du paragraphe de la p. 20). Un historien et un sociologue.
Les matériaux pour le faire. Au premier chef : les échanges épistolaires entre Bourdieu et Panofsky entre décembre 1966 et juin 1967. La correspondance constitue « le véritable atelier dans lequel se fabriqua concrètement Architecture gothique » (p. 85). Au total 13 lettres conservées dans le fonds Bourdieu et dans les archives de Gerda Panofsky, sans compter deux lettres adressées par Bourdieu à Gerda Panofsky, après la mort de son mari, en mars 1968. Gerda Panofsky (1929-2024), qui épouse Erwin Panofsky en 1966, et ses archives. Le rôle de Giulia Puma (bulle sonore), qui a mis en relation les auteurs avec Gerda Panofsky. Que dit la correspondance ? Archives des éditions de Minuit. Tout le monde de l’édition derrière Bourdieu et Panofsky (et pas seulement Jérôme Lindon).
Virgule
Quelques points saillants de l’ouvrage (1). Comment Bourdieu a-t-il découvert Panofsky ? Par l’intermédiaire de Louis Grodecki, historien de l’art et de ses articles publiés dans Critique. D’autres canaux aussi. Rôle de Maurice Merleau-Ponty. Un engouement générationnel pour Panofsky. Un cheminement pendant plus de quinze ans.
(2). Ce que dit la traduction de Pierre Bourdieu. « Traduire un ton au-dessus de Panofsky quand il s’agissait de sa méthode, et un ton en dessous dès que ce dernier exprimait sa subjectivité » (p. 134). Faire apparaître un certain nombre de questions théoriques et épistémologiques fondamentales.
(3). Une épistémologie de combat qui s’exprime évidemment dans la postface devenue célèbre de Pierre Bourdieu. La postface comme « première pierre angulaire d’un édifice plusieurs fois remanié par le sociologue, avant d’entrer dans le lexique ordinaire des sciences sociales contemporaines » (p. 145-146). Panofsky parle de « mental habit » (expression dépourvue de définition claire). Cela permet à Bourdieu de poser la question de l’intériorisation mentale des structures sociales, et, partant des schèmes de perception dans les apprentissages scolaires ou familiaux. Traduction par Pierre Bourdieu : « habitudes mentales » et non « mentalité commune » (Grodecki) ou « outillage mental » (dans le style des historiens proches des Annales). Le terme d’habitus n’est utilisé que dans la postface (p. 150-151). Concept d’habitus peu mobilisé avant cette postface. La réélaboration du concept d’habitus dans la postface de 1965, une réélaboration qui s’appuie notamment sur les travaux du spécialiste de paléographie médiévale, Robert Marichal, personnage par la suite invisibilisé.
Epilogue.
