Deux-cent-dix-neuvième numéro de Chemins d’histoire, vingt-quatrième de la sixième saison
Émission diffusée le samedi 3 mai 2025
L’invitée : Ana Lucia Araujo, professeure à l’université d’Howard à Washington DC, autrice de Réparations. Combats pour la mémoire de l’esclavage (XVIIIe-XXIe siècle), Seuil, 2025, ouvrage initialement paru en anglais en 2017, traduit par Souad Degachi et Maxime Shelledy.
Le thème : Esclavage et réparations, d’hier à aujourd’hui
Le canevas de l’émission
Une chercheuse et son sujet. L’idée du livre remonte à 2005 et à un séjour de recherche au Bénin, nous dit l’autrice dans ses remerciements. Genèse du livre et motivations. L’articulation entre le présent et le passé (vivacité de la question, débats sur la question au moment de la première édition du livre et depuis, autour notamment du cas d’Haïti, devenu flagrant en 2022, après la publication par le New York Times d’une longue enquête sur l’indemnité que la nouvelle nation noire avait payée à la France pour obtenir la reconnaissance de son indépendance en 1825, objet d’un colloque les 10, 11 et 12 avril 2025, à La Courneuve et à Paris). Dynamique historiographique, d’hier à aujourd’hui.
Objet du livre. Les demandes de réparation ont « une longue et tenace histoire », même si les termes qui apparaissent dans la documentation sont multiples (« corrections », « compensations », « indemnisations », « repentances », « remboursements »). En quoi les réparations consistent-elles ? Pas vraiment de consensus entre les chercheurs de différentes disciplines. Idée de corriger les torts du passé. En droit international. Double dimension (portée morale ou symbolique, portée financière et matérielle). Objet du travail ici : dimension matérielle et financière. Expliquer comment l’idée des réparations est apparue et s’est développée au fil du temps, quels acteurs sociaux les ont réclamées, à quelle période et pourquoi (p. 14).
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De l’importance de la chronologie. L’esclavage est progressivement aboli dans l’hémisphère occidental surtout après 1804 et la naissance d’Haïti. Quelques repères (pendant la guerre d’indépendance américaine, 1794, première abolition de l’esclavage en France, avant qu’on ne revienne dessus en 1802, abolition de la traite en 1815 mais pas de l’esclavage aboli en 1848, 1807, abolition de la traite négrière dans l’empire britannique, abolition de l’esclavage lui-même entre 1833 et 1838, ailleurs en Amérique, aux Etats-Unis et dans les pays d’Amérique latine, très tardivement au Brésil, par exemple, en 1888). Globalement, les élites mettent l’accent sur le caractère légal de la possession d’esclave et sur la nécessité de ne pas porter préjudice aux propriétaires d’esclaves avec l’abolition (d’où l’importance d’une indemnisation pour la perte de leurs biens, compensations obtenues dans plusieurs sociétés esclavagistes, dont les colonies françaises, britanniques, néerlandaises des Antilles). Exemple de ce qui se passe dans les colonies françaises après l’abolition de février 1848. Indemnisation des anciens propriétaires d’esclaves, mesures répressives prétendument destinées à éviter le vagabondage et qui finalement contraint les hommes et les esclaves affranchis à rester travailler dans les plantations, arrivée de travailleurs engagés en Afrique et en Asie, contraints de signer des contrats de travail de dix ans (p. 131).
Des demandes individuelles et collectives de réparations émergent. Selon quelle chronologie ? Aux Etats-Unis, à Cuba et au Brésil, les anciens esclaves luttent pour accéder aux droits civiques et aux ressources matérielles. Les demandes de réparation ne constituent pas une revendication centrale mais elles existent. Avec quels argumentaires ? Lecture d’une tribune publiée le 7 août 1865 (dans le New York Daily Tribune, soit avant la ratification du treizième amendement et l’abolition de l’esclavage, le 6 décembre de cette année) par Jourdon Anderson, vivant dans l’Ohio et qui répond à son ancien maître, le colonel Anderson, lequel lui avait demandé de revenir travailler pour lui dans le Tennessee, p. 133). Mouvement très fort aux Etats-Unis, marqués par la ségrégation raciale (dont la Cour suprême confirme la constitutionnalité en 1896). Rôle de Walter R. Vaughan (1848-1915), un Blanc né en Virginie, auteur d’un petit ouvrage publié en 1891. A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les affranchis prennent le contrôle du mouvement réclamant des pensions pour les anciens esclaves. Organisations et structure de ce mouvement. Processus qui n’aboutit pas.
Une période intermédiaire pendant la première moitié du XXe siècle. Explications. Dans la chronologie des demandes de réparations, les années 1960 constituent une rupture. Avant et surtout après l’adoption du Civil Rights Act en 1964, les réparations refont surface dans le programme de plusieurs associations afro-américaines d’inspiration Black Power. Voir par exemple le discours de Malcom X (23 janvier 1963, dans le Michigan, lecture p. 209). Voir aussi ce que dit Martin Luther King. Groupes émergents qui mettent au premier plan la question des réparations financières et matérielles (voir ce qu’en dit la Republic of New Africa, fondée le 31 mars 1968, quelques jours avant l’assassinat de Martin Luther King). Le mouvement des droits civiques ouvre une « brèche considérable », même si la situation est très contrastée (à Cuba, redistribution de terres aux Noirs, au Brésil, instauration d’un régime militaire).
Le temps fort de la fin de la guerre froide et des années qui suivent. Des groupes lancent des appels à des restitutions financières et matérielles et mettent en place des liens internationaux. L’exemple du Brésil après la chute du régime militaire. Les débats visant à définir diverses formes de réparations pour l’esclavage et la traite atlantique atteignent les institutions internationales. Un combat transnational. La situation aujourd’hui. Aux Etats-Unis, présidés par Barack Obama (2009-2017) ou Joe Biden (2021-2025) mais aussi par Donald Trump (2017-2021 et depuis 2025). Nouvelle déferlante en provenance des Caraïbes (plan en dix points de la CARICOM, en 2014). Bataille sociale, législative, médiatique (point d’acmé au printemps et à l’été 2020, après l’assassinat de George Floyd, le 25 mai). Quel aboutissement ?
Les chemins d’Ana Lucia Araujo.
