Deux-cent-quatorzième numéro de Chemins d’histoire, dix-neuvième de la sixième saison
Émission diffusée le dimanche 13 avril 2025
L’invitée : Anne-Laure Porée, docteure en anthropologie de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, autrice, aux éditions de La Découverte, d’un ouvrage intitulé La Langue de l’Angkar. Leçons khmères rouges d’anéantissement, 2025.
Le thème : Dans le quotidien des génocidaires cambodgiens
Le canevas de l’émission
Genèse de l’ouvrage. Journaliste, anthropologue, historienne ? De la thèse soutenue à l’EHESS en 2023 (Cultiver, trier, anéantir à S-21 : la mort comme travail sur les territoires du Santebal, Cambodge 1975-1979), au livre publié dans la collection « A la source » de La Découverte.
La source : un cahier noir avec une étiquette jaune, cahier conservé au musée du génocide Tuol Sleng. 53 pages numérotées. Description (graphie, soin de l’écriture, voir le cahier iconographique, titre, « Liste de statistiques du Santebal S-21 », décryptage des mots, sur l’appellation Santebal, voir p. 45). Un ou plusieurs auteurs ? Quoi qu’il en soit, le cahier noir contient bien les principaux éléments de la doctrine enseignées à S-21 ainsi que des informations sur sa mise en œuvre. Duch l’a reconnu à l’occasion de son procès (condamné à perpétuité en 2012) et d’autres procès. A qui s’adresse ce texte ? Aux interrogateurs recrutés dans la division militaire 703, l’une de celles qui ont conquis Phnom Penh le 17 avril 1975 (date de la chute de la République khmère, présidée par Lon Nol), et à ceux d’Amléang, bastion révolutionnaire situé à 100 km au NW de la capitale. Interrogateurs : début avril 1976 (Duch est promu à la tête de S-21 en mars 1976, l’ancien lycée Tuol Svay Prey est transformé en prison), 30 interrogateurs et 24 en formation ; fin juin 1977, la section totalise au moins 93 personnes, moyenne d’âge de moins de 23 ans (apogée sera atteint un peu plus tard). A sa tête : Duch et son adjoint Chan (Duch, nommé à la tête de la prison M-13 basée à Amlang, prototype rural de S-21, rejoint par Chan en 1973, S-21 créé le 15 août 1975 par le vice-Premier ministre et ministre de la Défense, Son Sen, Duch adjoint avant de prendre les commandes, à partir d’août 1977, Duch rend des comptes à Nuon Chea, bras droit de Pol Pot). Quel contenu ? 7 leçons (voir p. 16-17). Quelle date ? Quel usage ? Le sous-titre de l’ouvrage : à la traduction habituelle « Politique, idéologie, organisation » se substitue une autre « Politique, esprit, assigner ». Cette modification dit le projet du livre. Cela illustre « le geste fondateur de cette recherche combinant l’éclaircissement systématique de l’opération linguistique réalisée par les Khmers rouges avec l’examen de leurs pratiques » (p. 20). Une mise à nu du texte qui s’inspire du travail du cinéaste Rithy Panh. Créditer les Khmers rouges d’une pensée propre. Cultiver la volonté révolutionnaire, l’esprit guerrier et la chasse aux ennemis. Trier les ennemis selon diverses méthodes. Purifier les révolutionnaires et le corps social. Au cœur de la logique génocidaire et de son orchestration.
Les sources pour éclairer la source. Les procès instruits par les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC). Autres documents (conservés au musée du génocide Tuol Sleng ou aux Archives nationales du Cambodge), dont les aveux extorqués aux détenus et qui font l’ouverture du livre, témoignages divers (écrits et oraux, voir un certain nombre de textes parus en français ou en anglais, par exemple le témoignage du peintre et écrivain Vann Nath, 1946-2011).
Virgule
Quelques aspects saillants du livre (1). Le « travail du Santebal » : « un travail de lutte des classes qui vise à anéantir la classe dominante » (p. 40). Que cela signifie-t-il ? La traque a très vite débordé celle de la « classe dominante ». Voir la liste p. 41. L’ennemi de l’intérieur. Face aux « ennemis », la « discipline de l’Angkar » et de ses agents. Respecter la discipline, être dans un état de « vigilance » (voir p. 52). La culture du secret. Une journée de travail à S-21 (voir p. 61 ce que dit le cahier noir).
(2). Comment « trier les ennemis ». On force les détenus à rédiger de courtes biographies. Les documents administratifs complétés à l’arrivée. Les interrogateurs et la recherche d’éléments sur la famille, le milieu social, les réseaux supposés du détenu (p. 80-81). Au fil des interrogatoires, une biographie déhistoricisée (p. 84-85). L’objectif de l’aveu, l’obsession de la date d’adhésion au camp ennemi (p. 90). « Faire de la politique » (la torture psychologique), faire de la torture (physique). La question du viol (p. 104).
(3). Les logiques du génocide. Au-delà du cahier noir, l’anéantissement. Les acteurs du génocide. Le cahier noir, une forme de précipité. Lecture du cahier noir et visite du musée du génocide Tuol Seng. Héritages et mémoires.
Epilogue.
