Deux-cent-troisième numéro de Chemins d’histoire, huitième de la sixième saison
Émission diffusée le samedi 23 novembre 2024
Les invités : Benjamin Deruelle, professeur d’histoire à l’université de Québec à Montréal (UQAM), et Violaine Sebillotte Cuchet, professeure d’histoire grecque à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne, respectivement directeur de la série Histoire de l’Europe, chez Passés Composés, et directrice du tome 1er, Origines et héritages. De la Préhistoire au Ve siècle, 2024.
Pendant la première partie de l’émission, la qualité du son demeure imparfaite.
Le thème : Une nouvelle histoire de l’Europe, entre Préhistoire et Antiquité
Le canevas de l’émission
La série dirigée par Benjamin Deruelle. Genèse et contours du projet. Genèse éditoriale. Genèse scientifique. « L’Europe est le fruit d’une histoire complexe, dont la définition est nécessairement fluide » (p. 11). Aller au-delà / en deçà / contre un récit univoque, téléologique qui lie notre monde aux héritages de la culture gréco-romaine, à l’Empire et à la chrétienté médiévale, à l’humanisme et à la philosophie des Lumières, aux idées de liberté et de démocratie. Aller contre l’idée d’une Europe monolithe, idée sur laquelle prospèrent des discours xénophobes. Sans nier les éléments de culture partagée, la série entend dépasser la quête illusoire des origines supposées de l’Europe ou de ses prétendues valeurs intemporelles pour comprendre comment elle est devenue l’entité géographique, politique, culturelle et historique envisagée aujourd’hui. L’introduction insiste sur la variété de l’espace et des lieux dans la longue durée et sur « la construction et la reconstruction incessante d’un imaginaire d’unité, battu en brèche par l’idée de nation aux XIXe et XXe siècles, et que l’on cherche désormais à restaurer au sein d’un ensemble supranational ».
Les propos liminaires de ce tome et de la série, en insistant sur la diversité et sur l’indétermination même de l’objet Europe, en donnant toute leur force aux « discordances » et aux discontinuités du temps, constituent en quelque sorte un défi pour les auteurs et les autrices des quatre volumes ! Défi relevé par Violaine Sebillotte Cuchet, avec quatre coauteurs (Anca Dan, Jean-Paul Demoule, ANtoine Pietrobelli et Luca Rossi) pour le premier volume, et par les équipes des trois volumes suivants, conçus finalement selon la périodisation canonique en Occident (Moyen Age, sous la direction de Xavier Hélary, époque moderne jusqu’au XIXe siècle, avec Benjamin Deruelle, époque contemporaine, sous la direction de Laurent Colantonio, également professeur à l’UQAM).
Virgule
Structure du premier tome est passionnante. D’abord, mesurer l’écart qui existe entre l’Europe que nous connaissons et celle de l’Antiquité. Ensuite, offrir aux lecteurs un « parcours chronologique sur la formation et l’évolution des structures étatiques qu’a connues l’Europe antique ». Envisager enfin les « legs » attribués à l’Antiquité par les contemporains. Aller-retour entre le passé et le présent. Ampleur chronologique. Depuis les premières traces d’Homo Erectus en Europe (datées entre 1,5 et 1,3 million d’années), en constatant cependant que « les premiers occupants de l’Europe n’ont d’européen que le fait d’avoir occupé des territoires aujourd’hui désignés comme européens » (p. 126). La deuxième partie, intitulée « Cités, royaumes, se concentre sur l’Antiquité politique, des premières formes communautaires et de l’émergence de la cité jusqu’à l’Europe et aux royaumes dits « barbares » en passant par les empires antiques.
On peut concentrer d’abord la réflexion sur la première partie, intitulée « Echos de l’Antiquité ». Il s’agit d’abord de revenir sur les récits « déjà écrits par les historiens et historiographes qui nous ont précédés, depuis l’Antiquité ». Il s’agit aussi de rappeler la conception identitaire de l’Antiquité, simpliste et fantasmée, laquelle irrigue une grande partie de la culture savante : la Grèce serait le berceau de la philosophie et des sciences, Athènes celui de la démocratie et du théâtre, Rome celui du républicanisme, de l’art de guerre ou du christianisme. L’Antiquité comme construction culturelle au long cours. Antiquités fantasmées. Voir la citation de Paul Valéry (p. 77). Usages identitaires et nationalistes de l’Antiquité. Appropriations émancipatrices aussi. Premières dénominations d’un pays nommé Europe remontent au VIe siècle avant notre ère. Le moment fondateur des guerres médiques. Le mythe d’Europè, la princesse tyrienne (le premier auteur qui établit un lien entre la princesse et la partie du monde nommée Europe est Moschos, au IIe siècle avant notre ère, voir p. 592).
La troisième partie du livre, « Legs de l’Antiquité ». Quelques questions fondamentales posées (voir p. 17) sur la religion, la démocratie, l’économie, la place des femmes, les langues, l’art de vivre, les inventions, la médecine, les mythes, etc. Parmi les graves questions posées : Quelle relation au divin héritons-nous d’une Antiquité trop souvent regardée avec les yeux des chrétiens ? Voir le chapitre 8, « Communiquer avec le divin », qui se termine par une section intitulée « Un imaginaire théologique et rituel (presque) sans limite ». Voir aussi le chapitre 11 qui traite de la part des femmes (des sociétés qui avaient tout pour susciter l’indignation mais où l’absence de politisation a incontestablement joué en faveur de la réitération des stéréotypes de genre, voir p. 456).
Epilogue. Lecture d’un extrait de l’Economique de Xénophon (encart sur « la naturalisation du couple hétérosexuel », p. 438) et du commentaire qui accompagne la publication d’un tétradrachme en argent, frappé au IIIe siècle, monnaie où l’on voit la reine Philistis, épouse de Hiéron II de Syracuse.
