Emission 200 : Le climat, les prix et la chute des Ming, avec Timothy Brook

Deux-centième numéro de Chemins d’histoire, cinquième de la sixième saison

Émission diffusée le mardi 22 octobre 2024

L’invité : Timothy Brook, professeur émérite à l’université de Colombie britannique, auteur d’un livre traduit de l’anglais par Odile Demange et intitulé Le Prix de l’effondrement. Le petit âge glaciaire et la chute de la Chine des Ming, Payot, 2024.

Le thème : Le climat, les prix et la chute des Ming

Le canevas de l’émission

Le propos du livre. « L’histoire que je raconte ici ne sera pas celle des désordres politiques et des conflits militaires qui entraînèrent le suicide du dernier empereur Ming et l’invasion mandchoue de 1644, une histoire bien connue des spécialistes de cette dynastie. Je présenterai au contraire sa chute comme le terme d’une série de crises de subsistance qui s’étalèrent sur deux siècles et entraînèrent le peuple des Ming vers un chaos dans lequel il ne pouvait que voir un fléau du Ciel. […]. En racontant cette histoire différemment, […] [je me concentre] sur des données si ordinaires que nous n’en tenons généralement pas compte : les prix » (p. 11). Par sa formation, Timothy Brook n’est ni un historien des prix, ni un historien du climat.

Au fondement du livre : les Mémoires de Chen Qide, enseignant à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Shanghai. Cinq citations qui disent la portée de ce texte, particulièrement mis en valeur par Timothy Brook : « Mes souvenirs ne remontent qu’aux premières années de l’ère Wanli [1572-1620], alors que je n’étais qu’un petit garçon et que les récoltes étaient abondantes et le peuple prospère » (citation, p. 20). « En ce temps-là [en 1588-1589, années de catastrophes naturelles], […] le prix du grain monta en flèche et resta élevé pendant des mois d’affilée. On n’apercevait pas une tige d’herbe dans les champs, pas un lambeau d’écorce aux arbres. Les fugitifs encombraient les routes, et les cadavres jonchaient les rues. » (citation, p. 23) « Quand arriva la treizième année de l’ère Chongzhen [1640], de fortes pluies s’abattirent pendant des semaines et des mois consécutifs. […] Le prix du grain dépassa d’abord 1 tael par hectolitre [10 boisseaux] et s’éleva progressivement à plus de 2 taels » (citation, p. 24). En 1641, « le prix d’un hectolitre de grain passa de 2 à 3 taels. Les gens de la campagne devaient payer 30 centimes d’argent pour un seul boisseau. Bien que la récolte de blé de printemps ait été deux fois plus importante que les années précédentes, elle ne fut pas suffisante pour nourrir tout le monde. Certains mangeaient la balle, d’autres mâchaient du son, d’autres encore dégustaient les herbes et l’écorce des arbres en guise de dîner et mangeaient la balle en apéritif » (citation, p. 25). En 1642, « dans toute la campagne, des gens arrachaient les jeunes pousses vertes dès qu’elles sortaient de terre. […] Un gros poulet avec ses deux pilons atteignait 1000 pièces de bronze. Des cochons à cuire en ragoût se vendaient 5 taels, puis 6, voire 7. […] En revanche, une servante ne valait que 1000 à 2000 wèn. […] Les gens ne devraient-ils pas être précieux et le bétail bon marché ? » (citations, p. 29).

L’emboîtement des échelles. Une histoire connectée, une histoire globale. Chine et Europe. Les sources pour documenter l’histoire des prix, en Europe et en Chine.

Les « six bourbiers », « phases de plusieurs années durant lesquelles de graves anomalies thermiques ou pluviométriques, voire les deux, coïncidèrent avec des comptes rendus de crise environnementale, de famine et de souffrance sociale » (p. 170 et s.) : bourbier de Yongle (1403-1406), bourbier de Jingtai (1450-1456), bourbier de Jiajing (1544-1545), bourbier de Wanli I (1586-1589), bourbier de Wanli II (1615-1620), bourbier de Chongzhen (1638-1644).

Les céréales, leur prix et les facteurs qui affectent le taux de cet échange. « Les trois principaux facteurs […] sont l’approvisionnement en grain, le nombre d’acheteurs potentiels et les réserves monétaires disponibles pour ces achats. […] Je me fais l’écho de l’historien Christopher Dyer qui concluait de ses recherches sur l’histoire anglaise médiévale que ‘les prix du grain reflètent un certain nombre d’influences […] mais [que] la principale cause d’une hausse soudaine des prix était la qualité des récoltes’. Au risque d’enfoncer une porte ouverte, je rappellerai que la qualité des récoltes est déterminée par les températures et les précipitations, lesquelles dépendent du climat » (p. 162-163). La question de la fluctuation de l’approvisionnement monétaire, caractérisée d’abord par une entrée d’argent étranger à partir de l’ère Wanli puis par l’étranglement de ce flot à l’ère Chongzhen, selon certains spécialistes, dont Timothy Brook ne partage pas l’avis.

Déterminisme et multicausalité, réflexions sur les facteurs qui président à la chute des Ming, en 1644. Le désastre de l’époque de l’empereur Chongzhen. L’enquête de Timothy Brook, quelques données.

En Chine et ailleurs, la spécificité chinoise.

Le livre dans le cheminement d’historien de Timothy Brook.

Extrait d’un atlas hollandais de la Chine, Amsterdam, 1655