Emission 199 : Paris et les rivières franciliennes à l’époque moderne, avec Raphaël Morera

Cent quatre-vingt-dix-neuvième numéro de Chemins d’histoire, quatrième de la sixième saison

Émission diffusée le dimanche 20 octobre 2024

L’invité : Raphaël Morera, chargé de recherche au CNRS, codirecteur du Centre de recherche historique (CRH), auteur de Une histoire au fil de l’eau. Paris et son environnement, XVIe-XVIIIe siècle, éditions de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, 2024.

Le thème : Paris et les rivières franciliennes à l’époque moderne

Le canevas de l’émission

Histoire de l’eau ou histoire au fil de l’eau. Le projet : « comprendre les pratiques sociales et les pratiques de pouvoir à partir d’une compréhension fine des modalités d’utilisation hydraulique ». Jeux d’acteurs et processus sociaux. Histoire de l’environnement, de l’énergie (« En France et en Europe, la force motrice de l’eau est le support essentiel de la croissance économique et de l’innovation technique depuis l’époque carolingienne, si ce n’est avant », p 12), histoire sociale, histoire politique, histoire du « vécu ». Voir p. 18. « Dans les interstices de l’histoire économique et de l’histoire rurale » (p. 251). Quel projet ? Quelle histoire ? Dans un contexte historiographique en pleine évolution depuis quelques décennies. Genèse depuis l’article séminal de Marc Bloch, en 1935 (voir p. 14). Réflexions sur le lien entre aménagements hydrauliques et pouvoir fort (voir les travaux de Karl Wittfogel). Histoire du climat et histoire environnementale. Travaux récents. Quelques noms, notamment celui de Clifford Geertz.

Le terrain d’étude : cœur du domaine royal et du royaume de France. Le bassin versant de la Seine, autour de la capitale. Des rivières aux profils différents. Le terrain d’étude : du côté des archives. Les archives produites par la gestion de l’eau. La gestion de l’eau est partagée entre la prévôté des marchands, l’administration des Eaux et Forêts et les seigneurs de la région. La documentation issue des juridictions royales et seigneuriales ou des Eaux et Forêts. Surtout, le « gisement du minutier central des notaires parisiens ». Quelle méthodologie pour approcher ces sources ? Voir la p 30 : 518 baux de moulins passés entre 1500 et 1792 retrouvés dans les fonds notariés et seigneuriaux (avec des informations sur 261 moulins répartis sur 54 cours d’eau). Etablissement d’une base de données, catégorisations utilisées (prix, acteurs, rivières).

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Quelques réflexions au gré du livre (1). Les moulins et les meuniers. L’économie de l’eau vive est très largement conditionnée par la rente foncière. Les propriétaires de moulins sont globalement les maîtres de la terre. Les bailleurs les plus importants : la ville, les établissements religieux majeurs. Ces deux types d’acteurs ont en commun de mettre à bail des moulins qui, par vocation, produisent pour la ville ou un marché élargi. Moulin pour la ville, moulin banal. Dynamisme de l’économie de l’eau, avec évidemment des variations chronologiques. Le système technique, également visible dans ces baux. Les moulins à eau sont à roue verticale. Capacités d’évolution limitées. Les meuniers : un fonctionnement de groupe très cohérent, des hiérarchies claires, un monde qui n’est pas si immobile que cela. Travail du meunier. Ce que disent les baux en termes de mouture, de rémunération, de charges d’entretien de la machine et du flux d’eau. Les meuniers sont responsables et maîtres des machines des bailleurs (voir les clauses de prisée). Clause de curage ; curage et entretien (voir p. 77). Des meuniers agriculteurs voire éleveurs.

(2). Pressions et conflits d’usage. Pression liée aux croissances économiques rurales, urbaines et artisanales de la période. Les usages de l’eau se sont diversifiés et accrus. Une pression de plus en plus forte (de qui ? comment se manifeste-t-elle ?). Des usages contradictoires et des jeux d’acteurs complexifiés. Les cours d’eau sont aussi des « corridors de conflictualités ». A l’occasion des crues et autres inondations qui sont évidemment liées à des déterminants sociaux. Des conflits nombreux et récurrents au XVIIIe siècle le long des cours d’eau. Pour quels motifs ? Dans quel contexte ? Intensité des usages et âpreté de la compétition qu’elle induit.

(3). Régulations. L’action monarchique limitée jusqu’au règne de Louis XIV ? Les Eaux et Forêts. L’inflation règlementaire du règne du Roi-Soleil. Que signifie-t-elle ? L’heure du « pragmatisme hydraulique ». Pas de modèle de gestion de l’eau unique. Il s’agit plutôt de s’assurer d’une bonne coordination, aussi uniforme que possible. On s’appuie sur les artisans en ville et les seigneurs dans les espaces ruraux. Les rivières sont donc gérées selon un principe de subsidiarité à toute épreuve (p. 218). Explications et exemples concrets (voir la figure de Claude Houry). Quelle articulation entre les acteurs (propriétaires, riverains, administrateurs) ?

Epilogue. « L’énergie comme produit ». « En intégrant les normes, les usages et les conflits, les rivières sont devenues elles-mêmes des archives » (p. 256). Les chemins d’histoire de Raphaël Morera.

Carte du cours de la rivière de Bièvre dans Paris tel qu’il était en 1789 et 1790, d’après le rapport de M. Hallé, 1790