Emission 191 : Une histoire de Rome par la main, avec Sarah Rey

Cent quatre-vingt-onzième numéro de Chemins d’histoire, trente-deuxième de la cinquième saison

Émission diffusée le dimanche 9 juin 2024

L’invitée : Sarah Rey, maître de conférences à l’université Polytechnique Hauts-de-France, à Valenciennes, habilitée à diriger des recherches, autrice, chez Albin Michel, d’un ouvrage intitulé Manus. Une autre histoire de Rome, 2024, un livre préfacé par John Scheid.

Le thème : Une histoire de Rome par la main

Le canevas de l’émission

Genèse et contours du projet. « Ce livre propose une traversée originale de la société et des mentalités romaines, par une mise en perspective des rôles assignés à la manus tout au long de l’histoire de Rome », dit John Scheid dans les premiers mots de sa préface (p. 9). D’où ce projet vient-il ? De l’importance de la main. Le corps romain n’existe pas, est-il dit (p. 13, prologue) ; les membres pris un à un comptent davantage. Main et bras. La main et les doigts (p. 15). Main droite et main gauche. Eloges des mains. Exaltation antique de la main depuis les présocratiques. Rôle décisif d’Aristote. La main exaltée chez Cicéron (extrait de De la nature des dieux, p. 104 et 105, lecture). Voir aussi Quintilien (p. 115). Chez les auteurs chrétiens (exemple de Grégoire de Nysse).

Sources et historiographie. Les textes sont là, les images aussi. Aucune catégorie de sources ne paraît inadaptée. Quelle couleur historiographique pour ce projet ? Dans le sillage des précédents travaux de Sarah Rey. Voir Les Larmes de Rome. Le pouvoir de pleurer dans l’Antiquité, Anamosa, 2017 (rééd. 2023, dans une collection Poche). L’anthropologie et la logique du sensible. Voir les travaux de Robert Hertz (1881-1915, fauché par la Première Guerre mondiale, auteur d’un article sur la prééminence de la main droite, article publié en 1909 dans la Revue philosophique de la France et de l’étranger), convoqués dans le chapitre 3.

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Quelques aspects du livre. Mucius Scaevola, un héros de la main, un personnage dont la silhouette se perd dans le mythe. Une histoire édifiante (stupéfie l’assiégeant étrusque Porsenna en posant sa main sur un autel en flammes, voir p. 23). Portée et transformations.

Plusieurs concepts d’ordre juridique sont forgés à partir de la main. La main, un concept clé du droit romain. Manus, l’incarnation du droit. Suivre ses métamorphoses en respectant l’ordre chronologique, une gageure. La manus iniectio, qui figure au deuxième verset de la loi des Douze Tables (corpus de lois romaines rédigé au milieu du Ve siècle avant notre ère, « Si l’adversaire cherche à tromper ou oppose de la résistance, que le plaignant mette la main sur lui »). La main apparaît dans d’autres procédures ou contentieux, litiges de propriété, acquisition de biens, affranchissement d’un esclave (manumissio). La main réapparaît dans le vol caractérisé, celui où le voleur est pris sur le fait (vol manifeste). La main occupe aussi une place dans le droit privé, elle renvoie alors aux pouvoirs qui sont dévolus au père de famille.

Mains et rites. Carcan rituel, qui exige un engagement plein et entier du corps des participants. L’affaire Marcus Sergius, désigné comme praetor urbanus en 197 av. notre ère. Héros de guerre qui a perdu sa main droite, remplacée par une prothèse en fer. Une partie du collège prétorien se ligue contre Sergius pour l’empêcher de participer aux sacrifices publics auxquels il doit prendre part en vertu de ses fonctions. Survalorisation de la main droite dans les rituels. Mains prodigieuses, l’exemple des songes. Voir ce qu’en dit Artémidore de Daldis (fin IIe siècle ap. JC), auteur de l’Onirocritique, dont l’œuvre est également étudiée par Paulin Ismard (voir l’épisode 166 de nos Chemins d’histoire). Main et main droite dans les rêves. Par ailleurs, être touché par le dieu guérisseur ou voir sa main en rêve, c’est l’objectif de tous ceux qui souffrent. Asclépios. Voir p. 145. Des funérailles aux pratiques magiques, les mains apparaissent comme des parties du corps entièrement liées à la pietas, « cette valeur qui désigne un maillage de contraintes acceptées, perçues comme le noyau même des relations entre les mortels et les immortels, entre les hommes en société, entre les vivants et les morts » (p. 178). Gestes pieux, la main face à la mort, main qui apaise (voir Tibulle, lecture de la citation p. 155). Les mains dévoyées, mains de magiciennes, les mains qui choisissent l’impiété. Main et manipulation.

Mains et histoire sociale. Mains sans qualités ? Mains des artisans, mains des femmes. Mains des hommes forts. Une histoire de la poignée de main, la dextrarum iunctio. Significations et représentations.

Les chemins d’histoire de Sarah Rey.

Relief votif en marbre de l’Asclépieion du Pirée décoré d’une scène d’incubation, début du IVe s. av. J.-C.