Cent quatre-vingt-neuvième numéro de Chemins d’histoire, trentième de la cinquième saison
Émission diffusée le dimanche 19 mai 2024
L’invitée : Nina Valbousquet, ancienne membre de l’Ecole française de Rome, post-doctorante à Manchester University, chercheuse invitée à Yad Vashem, autrice de Les Ames Tièdes. Le Vatican face à la Shoah, La Découverte, 2024.
Le thème : Le Vatican face à la Shoah
Le canevas de l’émission
L’histoire d’un titre. Reprise de propos d’Albert Camus dans le journal résistant Combat, au lendemain de Noël 1944, un éditorial où Camus dit notamment : « Nous aurions voulu que le pape prît parti, au cœur même de ces années honteuses, et dénonçât ce qui était à dénoncer ». La sentence est sans appel : « Notre monde n’a pas besoin d’âmes tièdes. Il a besoin de cœurs brûlants ». Que dit ce titre du projet ? Le pape et le Vatican face à la Shoah. Prises de position et prises de paroles, des voix et des silences. La question du silence est interrogée pendant la Seconde guerre mondiale mais aussi après. La question du silence sur le nazisme plutôt que sur la Shoah pendant le pontificat de Pie XII, lequel meurt en 1958. Le silence sur la Shoah devient central dans le débat public plus tard, avec la pièce de théâtre restée célèbre, Le Vicaire du dramaturge allemand Rolf Hochhuth (voir aussi l’adaptation cinématographique par Costa-Gavras avec le film Amen, publié en 2002). Cette pièce polarise le débat sur la figure de Pie XII. Une question devenue historiographique (publication d’une série de documents sur l’action du Vatican pendant la Seconde Guerre mondiale, entre 1965 et 1981).






Le pape Pie XII, photographié vers 1940 par Gitta Carell ; le pape le 7 juin 1944 ; édition de la pièce de théâtre de Rolf Hochhuth, Der Stellvertreter (Le Vicaire), parue initialement en 1963 et qui critique l’action du pape Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale ; extraits d’un éditorial de Combat, 26 décembre 1944, éditorial signé Albert Camus
L’ouverture des archives de Pie XII, annoncée par le pape François en 2019, effective en mars 2020, au tout début de la pandémie. Nina Valbousquest, les historiens et les archives du pape Pie XII. Quelles archives et quelle sélection documentaire ? Quels documents et quelle approche documentaire (attention aux notes marginales, etc.) ? Pour quelle histoire ? Avec quels acteurs ? Le pape certes mais aussi tous les rouages du pouvoir pontifical et le jeu d’échelles animant l’Eglise dans différents contextes. Exemples de deux personnages-clé du Vatican, parmi lesquels Mgr Domenico Tardini et Mgr Angelo Dell-Acqua.




Les hommes du Vatican : Mgr Luigi Maglione (1877-1944, ici en 1927, cardinal en 1935, secrétaire d’Etat de 1939 à sa mort) ; Mgr Domenico Tardini (1888-1961, secrétaire des affaires ecclésiastiques extraordinaires à partir de 1937, cardinal en 1958, secrétaire d’Etat de 1958 à sa mort) ; Mgr Giovanni Battista Montini (1897-1978, substitut aux affaires ordinaires à partir de 1937, archevêque de Milan entre 1954 et 1963, cardinal en 1958, élu pape, sous le nom de Paul VI, le 21 juin 1963) ; Mgr Angelo Dell’Acqua (1903-1972, entré à la secrétairerie d’Etat en 1938, cardinal en 1967, vicaire général de Rome la même année)
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Quelques aspects saillants du livre (1). Entre 1938 et 1941. Le poids de l’antijudaïsme chrétien, un conditionnement historique de longue durée. Un rapport interne signé par Mgr Armando Lombardi, administrateur au sein de la secrétairerie d’Etat, le 6 septembre 1940, avec une conclusion lapidaire et éloquente : « On voit qu’en dix-neuf siècles la ‘race’ a empiré » (voir p. 22-23). L’ombre portée de l’antijudaïsme chrétien est un facteur essentiel qui pèse sur les réactions des dirigeants du Vatican face aux persécutions antisémites et face à la Shoah. Une impossible condamnation sous Pie XI ? Circonvolutions, évolutions (rupture sans doute après l’instauration d’un antisémitisme d’Etat en Italie, à partir de septembre 1938, voir la déclaration du pape auprès d’un groupe de pèlerins belges, « L’antisémitisme est inadmissible. Nous sommes spirituellement des sémites », projet d’encyclique contre le racisme et l’antisémitisme, confié au père jésuite américain John LaFarge, projet qui n’aboutit pas avant la mort de Pie XI et qui n’est pas repris par le nouveau pape Eugenio Pacelli, Pie XII). Sous Pie XII, justement, la priorité donnée aux « catholiques non aryens », « étrange catégorie, mi-raciale, mi-confessionnelle » pour désigner les catholiques d’origine juive et les juifs convertis. Aides concernent des citoyens italiens mais également de nombreux réfugiés et apatrides. Le refuge brésilien : don de 3000 visas pour des réfugiés « catholiques non aryens », accord en 1939.

Déclaration du pape Pie XI, parue dans la presse en 1938 (ici un article publié dans La Croix le 17 septembre 1938)
Quelques aspects saillants du livre (2). De 1941 à 1944. Quelles informations reçues au Vatican ? Que sait le Vatican de la Shoah ? Les sources vaticanes du génocide. Le Vatican reçoit appels à l’aide, lettres et rapports concernant les persécutions et violences de masse contre les juifs d’Europe. Exemple de ce qui se passe en Slovaquie, présidée par un prêtre, Jozef Tiso… Voir ce qu’en dit Tardini, en juillet 1942 (citation, p. 179) : « Le problème, c’est que le président de la Slovaquie est un prêtre. Que le Saint-Siège ne puisse pas remettre Hitler à sa place, tout le monde le comprend. Mais qu’il ne puisse pas arrêter un prêtre, qui peut le comprendre ? » (annotation du 13 juillet 1942). Textes et photographies : exemple des lettres d’Abraham Silberschein, réfugié juif polonais à Genève, lequel transmet plusieurs rapports sur la Roumanie, en 1943, dans ses lettres au nonce à Berne, Filippo Bernardini (lettre, avec trois photographies jointes, 6 avril 1943, p. 225-226). Un condensé de l’attitude du Vatican, la réponse au mémorandum du gouvernement américain (1942) sur les déportations et les assassinats des juifs en Europe. Voir la note d’Angelo Dell’Acqua du 2 octobre 1942 (citation p. 186 et lecture en fin d’émission). Silence et voix (le discours du pape, le 24 décembre 1942, sur Radio Vatican, avec une possible allusion aux juifs persécutés, voir p. 207). Des voix ailleurs (le silence rompu en France ou aux Pays-Bas, exemple de la lettre pastorale de Mgr Pierre-Marie Théas, évêque de Montauban, lue le 30 août 1942, p. 194-195, lecture en fin d’émission). Aides et actions, au temps de l’occupation allemande à Rome. Une enquête sur les juifs cachés à Saint-Pierre (p. 255 et s.).
Les chemins de Nina Valbousquet.
Compléments
Nina Valbousquet a assuré, avec Caroline François, le commissariat scientifique de l’exposition tenue au Mémorial de la Shoah, en 2022-2023, « À la grâce de Dieu : les Églises et le Shoah ».
L’ouvrage de Nina Valbousquet, publié en mars 2024, a fait l’objet de plusieurs comptes rendus ou entretiens, dans le quotidien Le Monde (compte rendu par André Loez), dans l’hebdomadaire La Vie (conversation avec Sixtine Chartier) ou encore dans Télérama (entretien avec Elise Racque).