Emission 181 : Justice et répression dans l’empire colonial français au XVIIIe siècle, avec Marie Houllemare

Cent quatre-vingt-unième numéro de Chemins d’histoire, vingt-deuxième de la cinquième saison

Émission diffusée le vendredi 29 mars 2024

L’invitée : Marie Houllemare, professeure ordinaire d’histoire moderne à l’université de Genève, autrice de Justices d’empire. La répression dans les colonies françaises au XVIIIe siècle, PUF, 2024.

Le thème : Justice et répression dans l’empire colonial français au XVIIIe siècle

Le canevas de l’émission

Les débuts de l’ouvrage. Evocation de l’esclave Bayonne, Bossal, né en Afrique, qui tente en 1777 de s’enfuir du cachot de la plantation Bellevue à Saint-Domingue. « Faute de traces archivistiques suffisantes, il n’est pas possible de dire autre chose sur lui, sauf à tenter, en guise d’hommage, une restitution du monde dans lequel il a vécu ».

Le livre concerne ceux (et celles ?) qui, vivant dans les colonies françaises du XVIIIe siècle et entrant en contact avec l’institution judiciaire, font une expérience du droit qui laisse des traces archivistiques conséquentes (p. 8). Au cœur de l’ouvrage : les expériences individuelles des institutions judiciaires propres aux colonies françaises. Rappel : le premier empire colonial français (aux origines, à son apogée, au milieu du XVIIIe siècle avant le traité de 1763 qui met fin à la guerre de Sept Ans : le Canada, la Louisiane, la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Domingue, des comptoirs sur la côte ouest d’Afrique, les îles de France et de Bourbon, soit Maurice et La Réunion, des comptoirs en Inde). Quels territoires, quelle population ? La justice et son maillage, mis en place à partir des années 1660. Les conseils souverains puis supérieurs, les amirautés (à partir de 1717). Tableau général (un Conseil supérieur par colonie à l’exception de Saint-Domingue, articulation avec les gouverneurs et les intendants des colonies, gens de justice, quels acteurs ?). Des juridictions qui servent à soutenir la colonisation et à seconder la mise en valeur, par le travail forcé, des espaces conquis, est-il dit d’emblée (p. 12). Analyser par le prisme de l’emprise pénale la consolidation locale de l’autorité royale et la construction générale de l’autorité impérial. Exhumer des dynamiques communes aux différentes colonies à partir de l’accumulation empirique des pratiques judiciaires et administratives.

Perspectives historiographiques. Histoire de la justice et de la magistrature en terrain colonial. Quelle historiographie ? Apports français / francophones et apports anglophones (attention portée aux legalities et au legal pluralism). La réflexion juridique : le droit et la juridiction (voir les travaux de Lauren Benton). L’analyse en termes impériaux de l’expansion ultramarine française est finalement récente. Mise en valeur dans ce livre à la fois du caractère polycentrique de l’exercice du pouvoir et de l’intensité des relations centre-périphérie.

Des sources… nombreuses et dispersées. Corpus central de l’enquête : dossiers de procédures copiés et envoyés au secrétariat d’Etat de la Marine, aujourd’hui conservés aux Archives nationales d’outre-mer, à Aix-en-Provence. Ces dossiers permettent remarquablement d’articuler phénomènes généraux et trajectoires individuelles (avec la question de l’agentivité).

Virgule

Quelques aspects du livre (1). La répression vise tout particulièrement les individus dépendants dont la mobilité n’est pas libre. On le voit dans la procédure, dans les condamnations prononcées, dans le « spectacle punitif ». Racialisation judiciaire. Voir l’exemple de la justice pénale rendue à Bourbon : on cible surtout les esclaves fugitifs, par contraste avec la faible criminalisation des libres blancs (p. 105 et s.). Quel régime punitif pour les esclaves ? Adaptations aux sociétés esclavagistes. Quelles pratiques / formes d’enchaînement et d’incarcération, quelles évolutions, quels débats (p. 185 et s.) ? Sous-criminalisation de la violence des blancs entre eux, « tolérance vis-à-vis de la violence commise par les blancs », qui « informe tout le fonctionnement de la justice coloniale » (p. 140). Exécutions rares, condamnés qui échappent à la justice, pardon royal (voir les dossiers de clémence), mesures d’exil et d’évitement punitif par voie administrative pour les colons criminels. Evolutions et débats.

Quelques aspects du livre (2). Des acteurs multiples (voir la chaîne d’acteurs qui intervient dans le traitement de la folie par l’envoi dans les prisons métropolitaines, l’exemple de Saint-Domingue). Les effets politiques et administratifs des circulations judiciaires et le recours à l’autorité du secrétaire d’Etat de la marine. Le contrôle ministériel et ses effets. L’affirmation progressive d’une unité impériale par la justice et l’administration.

Epilogue.

Les Mortels sont égaux, ce n’est pas la naissance, c’est la seule vertu qui fait la différence, estampe conservée à la Bibliothèque nationale de France, 1794, estampe qui figure sur la première de couverture de l’ouvrage de Marie Houllemare