Cent soixante-sixième numéro de Chemins d’histoire, septième de la cinquième saison
Émission diffusée le mardi 31 octobre 2023
L’invité : Paulin Ismard, professeur d’histoire grecque à Aix-Marseille Université, auteur de Le Miroir d’Œdipe. Penser l’esclavage, Seuil, 2023.
Le thème : Penser l’esclavage en Grèce ancienne
Le canevas de l’émission
Genèse du livre et articulation avec les ouvrages précédents. Voir la p. 14 : « C’est une chose d’écrire l’histoire de l’esclavage en Grèce ancienne, en étudiant ses fondements légaux, les ressorts de son économie, ou en documentant le rôle crucial joué par les esclaves eux-mêmes au cœur des sociétés – ce travail est indispensable, et je m’y suis déjà consacré par le passé ». Voir La Démocratie contre les experts. Les esclaves publics en Grèce ancienne (2015, réédition en 2021) ; La Cité et ses esclaves. Institution, fictions, expériences, 2019 ; Les Mondes de l’esclavage. Une histoire comparée, 2021). Ici, l’idée est de « sonder l’empreinte de l’esclavage dans l’imaginaire des sociétés grecques ». La notion d’imaginaire. Nicole Loraux et l’« anthropologie de l’implicite ».
Dans quelle démarche historiographique s’inscrire ? Voir la citation d’Edouard Glissant p. 18, qui appelle à une transformation de l’historiographie, passant par « une manière de désigner ou de suivre dans leurs dessins secrets des histoires cachées, lesquelles se disent sans se dire tout en se disant, et des histoires fractales, dont les continuités se dérobent à l’examen et à la mise en pli syllogistique, ne se donnant peut-être qu’à l’intuition ». On est ici sur des territoires historiens mal balisés. De l’importance de la psychanalyse. Voir le passage-clé p. 20 : la relative absence du discours sur l’esclavage chez les auteurs anciens est vue comme un « symptôme, qui invite [l’historien] à observer les formes par lesquelles une société aménage une place à ceux dont elle organise consciemment la non-existence ». Retrouver une pensée de l’esclavage, laquelle s’exprime à travers ou depuis la situation esclavagiste, entre les lignes ou dans les marges des textes, dans leur impensé ou à leur insu. La scène esclavagiste est sous l’emprise du silence… et il faut l’entendre. Silence qui n’est pas (ou pas seulement) le produit de l’absence de traces mais qui procède surtout d’une construction imaginaire singulière et des régimes de discours qu’elle engendre.
La méthode Ismard. Les entrelectures. Quelques exemples. On note une évolution par rapport à ce qui était pratiqué dans La Cité et ses esclaves (incises). La tentation de la fiction ? Les chemins de la « fabulation critique » portés par Saidiya Hartman.
La question du miroir et la première de couverture (photographie de l’artiste italien Mulas Ugo, épreuve gélatino-argentique, Le laboratoire. Une main développe, l’autre fixe [ou fige], 1972) : que dit-elle du projet de Paulin Ismard ?
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Quelques aspects du livre (I). Revenir sur la scène philosophique, laquelle « repose sur un déni et s’alimente d’une fiction ». Revenir sur le Théétète de Platon. Partir d’abord d’une anecdote rapportée par Platon, le rire d’une esclave thrace face au mathématicien et philosophe Thalès de Milet qui, à force de regarder le ciel et les étoiles, serait tombé dans un puits. La philosophie comme activité qui s’épanouit sous et contre le rire des esclaves. Anecdote qui s’inscrit dans le cadre d’une célèbre digression, où Socrate défend la place qui revient aux philosophes. Les deux chœurs, le chœur des philosophes, lesquels disposent d’un temps libéré de toute contrainte (le privilège de la scholê), dans l’ignorance du monde social. Le chœur des hommes engagés dans le fonctionnement ordinaire de la vie démocratique… ravalés au rang d’esclaves. « Le peuple des orateurs de l’agora a pour vrai visage, en somme, une esclave thrace ». Comment comprendre cette anecdote et cette digression ? La liberté au miroir de l’esclavage. Un impensé fondateur. La philosophie procède du renversement et de la transfiguration de l’esclavage… dont l’enceinte de l’Académie conserve la mémoire (le jardin de l’Académie acquis par Platon avec l’argent de son affranchissement). Mais attention ! Ce qu’on comprend avec Aristote, c’est que la liberté est une maîtrise qui s’ignore comme telle. Voir aussi les travaux d’Orlando Patterson. Plus loin dans l’ouvrage (chapitre 5), Paulin Ismard revient sur La Politique et sur la manière dont Aristote pense l’esclavage. L’esclave fait partie de la vie de son maître, il en est à la fois un instrument et un de ses organes. Cela définit fatalement la possibilité d’une indistinction entre l’un et l’autre qui subvertit les formes traditionnelles du pouvoir. Et la menace d’une cité entièrement livrée à des êtres sans identité. Et Paulin Ismard le comprend en mettant en résonance La Politique et L’Interprétation des rêves d’Artémidore de Daldis (traité du IIe siècle de notre ère).
Quelques aspects du livre (II). Revenir sur quelques mythes structurants. A- Le mythe d’Œdipe, qui ne cesse de parler d’esclavage. Point de départ : la lecture de Freud (« Le roi Œdipe, qui a tué son père Laïos et épousé sa mère Jocaste, n’est que l’accomplissement d’un désir de notre enfance »). Retour sur la pièce de Sophocle, Œdipe Roi, et sur la place du berger (esclave) qui sauve Œdipe (finalement adopté par Polybe et Mérope). L’esclave semble incarner à la fois l’envers et la part insue du roi Œdipe (p. 64). Pourquoi ? B- Les origines pélasgiennes de l’esclavage. Le récit d’Hérodote et l’arrière-pays de l’histoire athénienne. Le lien établi par Hérodote entre le recours à l’esclavage et le viol des filles d’Athènes. Comprendre la légende pélasgienne, méditation sur l’altérité dans la cité démocratique. Double altérité (l’altérité pélasgienne et l’altérité radicalement différente de l’esclavage, celui-ci étant la négation de toute figure du lien).
Quelques aspects du livre (III). Dans cette mort où se tiennent des vivants. Réflexions sur la « mort sociale », concept porté par Orlando Patterson. L’esclave, un être mort qui n’a pas cessé de vivre. Ne pas oublier cependant l’expérience des esclaves eux-mêmes.
Les chemins de Paulin Ismard.

œuvre qui apparaît sur la quatrième de couverture de l’ouvrage de Paulin Ismard