Cent soixante-troisième numéro de Chemins d’histoire, quatrième de la cinquième saison
Émission diffusée le lundi 2 octobre 2023
L’invité : Jean-Claude Schmitt, directeur d’études émérite à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, auteur de Les Images médiévales. La figure et le corps, Gallimard, 2023.
Le thème : Images médiévales
Le canevas de l’émission
Un livre qui reprend des articles antérieurs et qui leur donne une nouvelle cohérence. Une exploration des images médiévales (communications lors de colloques, articles parus dans des ouvrages collectifs, entre 2001 et 2023). Les images de l’enfance, plus tard. Exploration des images médiévales, plus de vingt ans après Le Corps des images. Essais sur la culture visuelle au Moyen Age, Gallimard, 2002. Jean-Claude Schmitt et les images. Parcours historiographique. Les images et les historiens depuis 40 ans. L’impulsion décisive de Hans Belting (1935-2023). Double conversion : de l’histoire de l’art à l’histoire des images, de l’art aux images. François Lissarague (1947-2021). Les apports disciplinaires multiples. Des images (multiples) d’aujourd’hui à celles d’hier.
Un point sur le vocabulaire : image (tout objet visant un effet visuel), image figurative ou non ; image et imaginaire, images matérielles et images immatérielles (voir p. 17). Mots utilisés au Moyen Age, mots d’aujourd’hui (voir p. 159).
Le paradoxe d’un monothéisme iconophile. L’image rend visiblement présent ce qui est absent, l’image comme présentification de l’absence. Dans les civilisations anciennes, l’absent est plus que tout autre le dieu. Place des images cultuelles mais aussi méfiance vis-à-vis d’elles. La question de l’idolâtrie. Attitude très différente dans les trois religions abrahamiques. Pourquoi le christianisme seul a-t-il renoncé à l’aniconisme judaïque des origines ? Toutes les images du Moyen Age doivent de près ou de loin leur justification première à l’événement majeur que constitue l’Incarnation du Fils de Dieu. Multiplication des images et réticences théoriques et théologiques (lesquelles cèdent du terrain). Voir p. 45 : dans un ms. anglais du XIIIe siècle (Trinity College, Cambridge), Trinité où le visage du Père est dissimulé par une sorte de trèfle à quatre feuilles. Contre les Vierges « ouvrantes ».
La conception médiévale de l’image, loin de la mimésis antique : la figuration, au sens de la figura des théologiens. Réseau infini d’analogies entre les « figures » ou « types » passés et leurs correspondants ou « antitypes » du Nouveau Testament. Une pensée figurative. Chaque chose, chaque figure ne tire son existence et sa signification que d’un réseau de relations. Tout existant est pensé sur un mode relationnel et analogique : il en va des humeurs, des qualités des corps, des tempéraments comme des péchés, des sacrements et des deux Testaments (p. 150). Voir les travaux d’Erich Auerbach (1892-1957). Voir aussi ceux de Philippe Descola (né en 1949 ; un des quatre types d’ontologies dans le monde, l’analogisme, avec l’animisme, le totémisme et le naturalisme). Exemples concrets et en images de la pensée figurative, analogique ou typologique. Le Bréviaire de Belleville à l’usage des frères prêcheurs, produit à Paris entre 1323 et 1326 (enlumineur : Jean Pucelle et son atelier).
Emergence progressive de l’ontologie naturaliste. Des images plus mimétiques dès la fin du Moyen Age. Mise en cause de la pensée figurative traditionnelle au profit d’un réalisme à la fois philosophique et artistique. L’avènement du paysage en peinture, curiosité pour les plantes et les insectes, la découverte ou redécouverte du portrait ressemblant. Portrait et autoportrait (Jan van Eyck, L’Homme au turban rouge, Londres, National Gallery, 1433).
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Quelques chantiers d’étude (1). L’image n’est pas que représentation, elle est aussi et d’abord un objet matériel. La matérialité des images de dévotion est, tout particulièrement, liée aux fonctions de celles-ci, dont elles soutiennent l’efficace dans le champ religieux individuel et collectif. L’exemple des enseignes de pèlerinage. Lecture (voir p. 194) de ce que confie le cistercien Richalm vers 1200 à l’un des moines de son abbaye de Schöntal, dans le Wurtemberg. La puissance d’agir (agentivité) de l’image. La matérialité de l’image s’inscrit dans la conception incarnationnelle du monde, qui tend à fusionner les êtres et les choses. L’image chrétienne ramène au mythe de l’Incarnation.
Quelques chantiers d’étude (2). Les images sont inscrites dans l’histoire, elles changent. Elles inventent de nouvelles formules au fil du temps. Voir par exemple l’iconographie mariale, hier et aujourd’hui. L’apparition et l’essor de l’image de l’Assomption corporelle de Marie, qui s’est progressivement affranchie de la tradition iconographique byzantine de la Dormition pour se prolonger plus tard dans celle de l’Immaculée Conception. La question de la représentation médiévale de Marie retrouvée au Brésil il y a une dizaine d’années… Des strates temporelles et des chevauchements (l’image de nappes de charriage).

Musée de Condé, Chantilly
Compte rendu
Voir le compte rendu publié par Nicolas Weill dans le quotidien Le Monde, 1er octobre 2023.