Cent cinquante-huitième numéro de Chemins d’histoire, trente-huitième numéro de la quatrième saison
Émission diffusée le dimanche 16 juillet 2023
L’invité : Jérôme Kennedy, professeur agrégé et docteur en histoire, auteur de Une res publica impériale en mutation. Penser et pratiquer le pouvoir personnel à Rome, de Sylla à Trajan, Champ Vallon, 2023.
Le thème : La res publica impériale, de Sylla à Trajan
Le canevas de l’émission
Au cœur du sujet, un parcours, un cheminement, un passage, une transition : « Un système fondé sur une pratique collégiale du pouvoir autour d’un Sénat et de magistratures pour la plupart renouvelées chaque année sous le regard et avec l’onction du populus a progressivement généré ou vu s’imposer à lui le recours durable à des formes de pouvoir personnel, sans pour autant disparaître. » « Le but de la présente enquête est d’identifier et de reconstituer les différentes étapes qui ont rendu une telle évolution possible, de percevoir les avancées, les contournements, mais aussi les contradictions et les marches arrière qui ont jalonné cette longue et incertaine route vers l’enracinement d’une forme de pouvoir personnel dans la Rome ancienne. » Pourquoi s’attaquer à une enquête si lourde à l’occasion d’une thèse ? Le concept mobilisé : la res publica impériale. Semble amalgamer les cadres théoriques habituellement utilisés (la République, l’Empire). Puise ses racines dans une formulation propre aux historiens du contemporain (« République impériale », Raymond Aron, Olivier Le Cour Grandmaison). Un concept nouveau et inédit (voir ce qu’en disait Stéphane Benoist, en 2016) : la res publica impériale. « En sa définition première, la res publica impériale renvoie donc à un principe : celui de l’équilibre entre un pouvoir personnel difficilement contestable et l’organisation tout à fait traditionnelle d’une chose publique romaine fondée sur l’exercice de magistratures limitées dans le temps et l’entretien d’un ensemble complexe de liens de clientèle. Ainsi, la res publica impériale repose sur la conjonction plus ou moins claire et aboutie entre trois logiques : l’expansion spatiale, la conception collégiale de la vie civique et une pratique personnelle du pouvoir. » Allier permanences, mutations et efforts de théorisation, ce qui n’est envisageable que dans le cadre des Iers siècles avant et après notre ère. Pluralité de pratiques, d’expériences et de conceptions.
Dans quel cadre chronologique ? Voir la relecture d’Harriet I. Flower, autrice de Roman Republics, 2010. Point de départ : l’action de Sylla, premier jalon pour l’étude de la relation entre pouvoir personnel et res publica. Terminus de l’étude : plus difficile à établir. Pourquoi s’arrêter à Trajan ?
La méthodologie, les sources et les débats historiographiques (Fergus Millar, historien britannique, mort en 2019, Karl-Joachim Hökeskamp, voir la traduction de Reconstruire une République. La Rome antique, 2008, sur la nature, démocratique ou aristocratique, de la République ; sur l’organisation politique d’Auguste, querelle historiographique de longue haleine, les réponses tranchées de Theodor Mommsen, mort en 1903, ou de Ronald Syme, mort en 1989, ne sont plus possibles, « la réflexion porte davantage sur « l’ambiguïté » du premier princeps, mais aussi et plus largement sur celle des rouages politiques romains, au point qu’il est devenu difficile d’apporter des réponses aussi tranchées que celles d’un Mommsen ou d’un Syme »).
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(1). Préalable indispensable : s’interroger sur les mots du politique et les diverses perceptions et définitions de la res publica. Poser les bases d’une civilium commutationum scientia, une science des mutations des régimes politiques, à la fois théorique et pratique. 1-Figure centrale : Cicéron (106-43). Hiatus entre action et théorisation politique ? Pas forcément. « Je désire l’honneur de César, je puis donner ma vie pour Pompée ; pourtant, rien ne m’est plus cher que la res publica. » (Lettres aux amis). L’approche du politique par Cicéron et dans le monde romain est évidemment influencée par la pensée grecque. Au cœur du champ politique, il y a un principe de mutation. Un principe de mutation qui s’inscrit dans le cadre de la théorie dite de l’anacyclose, attribuée traditionnellement à Platon. De quoi s’agit-il ? « La res publica romaine est un fonctionnement collectif très concret, le premier dans l’histoire à pouvoir sortir du schéma de l’anacyclose ». Res publica est une notion intrinsèquement polysémique pour laquelle il n’existe pas une définition unique. Elle n’est du reste pas spécifique aux seules structures politiques romaines. Une notion qui sème le trouble. Et ce n’est pas la seule notion que les Romains utilisent pour évoquer l’organisation des communautés humaines. Voir ce qu’en dit Cicéron, schéma p. 59. 2-Quelle place pour le populus et le pouvoir personnel dans la Rome républicaine ? Quelle place le pouvoir personnel peut-il occuper dans un tel système, qui repose sur un ensemble d’habitudes devenues normes, la concurrence au sein de l’élite dirigeante et un rapport direct au peuple souverain ? Les mots : imperium, imperator, princeps, principatus. 3-La res publica impériale conservatrice de Cicéron. Une approche très spécifique du lien de plus en plus affirmé entre res publica et individualité(s).
(2). Evolutions chronologiques. De Sylla (138-78) à Auguste. L’expérience syllanienne (Sylla, dictator legibus scribundis et rei publicae constituendae, 82-81 av. J.-C.) et ses effets. L’éphémère res publica impériale syllanienne et le profond traumatisme qu’elle a généré. Brutalisation de la res publica. Pompée. Temps majeur de recomposition du rapport au pouvoir personnel, à partir de 49 avant notre ère. César et la suite. La res publica impériale augustéenne. Quelles caractéristiques ? Le novus status augustéen, un système qui n’a pas su muer en régime. La légitimité d’Auguste repose sur une auctoritas personnelle, par nature intransmissible. Ajustements et dépassements d’une res publica impériale sous les Julio-Claudiens et au temps des Flaviens. Trajan, l’optimus princeps, maitre des armes et des valeurs. Pleinement impériale, la res publica s’oriente peu à peu vers une conception royale plus explicite, soit une définition au fond plus simple et classique du pouvoir personnel. Cette mutation s’opère très progressivement entre le principat de Claude (41-54 ap. J.-C.) et l’avènement de Trajan (98 ap. J.-C.) Miroir déformant des mali principes, Néron et Domitien.
Conclusion.




Bustes de Sylla (copie d’époque augustéenne), de Cicéron (Ier siècle avant notre ère), d’Auguste (Ier siècle de notre ère) et de Trajan (IIe siècle)