Emission 147 : Les écrits de Jacques-Louis Ménétra (1738-1812), vitrier parisien, avec Vincent Milliot

Cent-quarante-septième numéro de Chemins d’histoire, vingt-septième numéro de la quatrième saison

Émission diffusée le dimanche 2 avril 2023

L’invité Vincent Milliot, professeur d’histoire moderne à l’université Paris 8, coéditeur, avec Daniel Roche, Pascal Bastien, Frédéric Charbonneau, Philippe Minard et Michel Porret du volume intitulé Les Lumières minuscules d’un vitrier parisien. Souvenirs, chansons et autres textes (1757-1802) de Jacques-Louis Ménétra, Genève, Georg, 2023.

Le thème : Les écrits de Jacques-Louis Ménétra (1738-1812), vitrier parisien

Le canevas de l’émission

Le manuscrit 678 de la Bibliothèque historique de la ville de Paris. Le Journal de ma vie et les écrits divers. Présentation générale. Le travail de Daniel Roche, éditeur du Journal (édité pour la première fois en 1982, réédité chez Albin Michel).

Quelques repères. Baptisé le 13 juillet 1738 en l’église Saint-Germain-L’Auxerrois. Fils de Jacques, maître vitrier et de Marie-Anne Marseau. Enfance à Paris, qu’il quitte le 29 mars 1757 pour faire son tour de France. Compagnonnage itinérant durant sept ans (qu’est-ce qu’un compagnon ? Voir l’article de Philippe Minard dans l’abécédaire, p. 247 et s.). Stabilisation à Paris à partir de 1764. Vitrier (voir l’article de Michel Porret dans l’abécédaire). Mariage en 1765. Enfants. Rencontre et fréquente Jean-Jacques Rousseau, en 1770. Récit se poursuit sous la Révolution. Ménétra décède le 13 mai 1812.

Virgule

Retour sur les Ecrits divers. De quoi se compose cet ensemble ? Un ensemble composite. « Mes souvenirs » en vers. Des vers sur sa situation professionnelle (pendant son tour de France et après) et sur celle de sa communauté. Epitaphe de son père décédé (1776). Des vers sur sa femme, sur tel ou tel monument à Paris, sur tel ou tel événement. Des réflexions d’ordre philosophique et religieux (« mes recherches sur la vérité », 1776, sur la « religion naturelle » et la théophilantropie, 1798-1799).

Comment circuler dans les textes de Ménétra ? L’abécédaire. Paris et la fierté parisienne (voir l’article « Urbain »). L’honneur et la défense de l’honneur masculin, une défense pied à pied. Obéissance et ordre public (« l’idéal d’ordre que dessine Ménétra est celui où la résolution des conflits se négocie à l’amiable, sans rigueur inutile, et parfois même dans un entre-soi dépourvu de policier et de magistrat », p. 349). Tolérance et liberté, esprit libertaire. L’ivresse et le vin.

Se raconter : « Un témoignage insolent, révélateur des possibilités d’une écriture populaire », dit Michel Porret.

Quelques citations

Un résumé de la vie de Jacques-Louis Ménétra par Michel Porret (dans l’abécédaire, « Aventure », p. 231) : « Fils d’artisan, orphelin de mère à deux ans, élevé par sa grand-mère, Ménétra n’est ni Ulysse ni Énée. Dans le sillon paternel, il préfère le cabaret au confessionnal. Réelles ou imaginaires, les péripéties de son destin illustrent la vie ordinaire, entre l’enfance du ‘polisson’, la formation et la mobilité du « compagnon du Devoir », le libertinage du mari volage de Marie-Élisabeth, les rivalités corporatives et le labeur du maître jupitérien, la rancœur du sectionnaire modéré sous la Révolution puis du flatteur de Bonaparte, ce ‘héros’ des Écrits divers ».

Les premiers vers du poème à Jean-Jacques Rousseau (p. 131): « Ô toi qui me traita comme l’un de tes amis / Dans tes promenades solitaires je suivais tes pas / Ces entretiens si doux ne reviendront pas / Que dis-je ils circulent toujours dans mon esprit / Ta morale était pour moi salutaire / Et je te révérai comme un père / En me parlant d’orgueil et d’injustice / Tu me faisais aimer la vertu et abhorrer le vice ».

Extrait de « Mes réflexions sur la Révolution » (p. 145-146) : « Selon moi et des personnes sensées la Révolution devait nous rendre heureux. La première année les hommes se regardaient comme des frères malgré les obstacles qu’apportaient la noblesse et le clergé, mais tout à coup tout changea. L’ambition, les haines et les vengeances, les médisances, la calomnie, l’injustice, l’immoralité, tous les vices furent en vigueur. Ces temps malheureux de barbarie et d’horreur ne reparaîtront jamais envers la nation. Le Français d’un naturel doux et aimant le plus policé de l’univers devint le plus barbare et le plus cruel. Ô ma pauvre patrie, que j’ai gémi, que mon cœur a été oppressé lorsque j’ai vu ces cannibales de tous les partis demander d’un sang froid la mort ou l’incarcération de leurs anciens amis, ces anthropophages, ces hommes de sang, sans mœurs, sans principe, voter de sang froid l’arrestation des citoyens. Combien, dis-je, ai-je vu de mes amis pour un mot mal expliqué, pour des faits très légers être incarcérés. Combien de fois ai-je parlé dans les assemblées en leur faveur et que j’ai retirés des griffes de ces êtres affamés de sang par l’estime que me portait l’honnête et vertueux citoyen. […] Oui tout était corrompu, l’homme probe n’osait plus se prononcer, le voisin ne reconnaissait plus son ancien ami et il semblait que c’était un devoir que d’être dénonciateur, et le tout selon des hommes simples dans la vue de faire le bonheur de sa patrie. Ô temps de démence où l’homme avait perdu toute espèce d’humanité envers ses semblables, ô jours d’horreur vous êtes passés, espérons qu’ils ne reviendront plus. »

Le tour de France de Jacques-Louis Ménétra (carte conçue par Frédérique Pitou) et la couverture de la première édition du Journal de ma vie par Daniel Roche, Montalba, 1982

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