Cent-quarante-quatrième numéro de Chemins d’histoire, vingt-quatrième numéro de la quatrième saison
Émission diffusée le dimanche 5 mars 2023
L’invité : Stéphane Ratti, professeur émérite d’histoire de l’Antiquité tardive à l’université de Bourgogne-Franche-Comté, éditeur, pour le compte de la « Bibliothèque de la Pléiade » chez Gallimard, de l’Histoire Auguste et autres historiens païens.
Le thème : Historiens païens de l’Antiquité tardive, l’Histoire Auguste redécouverte
Le canevas de l’émission
Genèse du projet éditorial. Un long cheminement avec l’histoire de l’Antiquité tardive, une étude de longue haleine sur les « ultimes feux de la résistance païenne » (pour reprendre le sous-titre de l’un de l’un des livres de l’auteur paru en 2010), un compagnonnage ancien avec l’Histoire Auguste (voir notamment le livre L’« Histoire Auguste ». Les païens et les chrétiens dans l’Antiquité tardive, Les Belles Lettres, 2016).
Quels textes édités ici ? L’Histoire abrégée depuis Octave Auguste, d’Aurélius Victor, texte publié vers 360-361, sous Constance II (Aurélius Victor est gouverneur de la province de Pannonie seconde avec rang consulaire sous l’empereur païen Julien). Aurélius Victor se veut un successeur de Tite Live et un émule de Tacite. Son livre est une succession de biographies impériales, d’Auguste à Constance II.
L’Abrégé d’histoire romaine, dédié en 370 à l’empereur Valens. Responsable des archives de l’empereur Valens, a participé à l’expédition de l’empereur Julien contre les Perses. Un Abrégé en 10 livres, qui va de la fondation de Rome à la fin du règne de Jovien. Apparence neutre et scolaire mais qui a évidemment un sens politique.
Le Tableau des victoires du peuple romain, ouvrage de Festus, rédigé à la demande de Valens, vers 370 aussi, également directeur des archives impériales comme Eutrope, également gouverneur consulaire de Syrie, proconsul d’Asie, respectivement dans les années 360 et 370. Un Tableau qui s’intéresse au développement de l’impérialisme romain et à la création successive des provinces, de la République à son époque.
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L’Histoire Auguste, morceau d’anthologie du volume publié par Gallimard. Un recueil de trente biographies d’empereurs romains, avec des passages pittoresques et graveleux parfois. Débute par la « Vie d’Hadrien » (117-138) et se termine par les Vies de Carus, Carin et Numérien, qui précèdent l’avènement de Dioclétien en 284. Lacune pour la période 244-260. Recueil qui prend la suite des Douze Césars de Suétone (fin en 96, avec la mort de Domitien). Contient les vies des princes coadjuteurs et des usurpateurs. Le titre. Les auteurs / l’auteur. Six auteurs supposés. Le premier à émettre la thèse d’une vaste mystification historique : Hermann Dessau, en 1889. Derrière les auteurs supposés, un faussaire de talent. Thèse qui se heurte à des contradicteurs (Theodor Mommsen, qui pense plutôt à des strates successives de rédaction ; voir aussi plus tard, le mépris de certains historiens vis-à-vis de l’Histoire Auguste, cf. Arnaldo Momigliano). Chronologie de l’Histoire Auguste s’est néanmoins affinée (travaux majeurs de Ronald Syme, de Johannes Straub, d’André Chastagnol). Quel auteur ? Nicomaque Flavien senior serait l’auteur de l’Histoire Auguste. Qui est-il et pourquoi cette hypothèse ? Quelle chronologie de rédaction ?
Les Vies et mœurs des empereurs depuis César Auguste jusqu’à Théodose, auteur inconnu, écrit après 395. Trois poèmes contre les païens.
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Quelques réflexions (1). Le christianisme et les chrétiens n’apparaissent pas ou peu dans les ouvrages édités par Stéphane Ratti. Voir par exemple l’Histoire abrégée d’Aurélius Victor. Aucune allusion au christianisme. Un silence qui vaut preuve. Rien sur les persécutions des chrétiens non plus. Insiste par exemple sur la piété de Dioclétien, persécuteur des chrétiens. Portrait en demi-teinte de Constantin aussi. Il est question des chrétiens dans l’Histoire Auguste. Opposition au christianisme n’est jamais exprimée de manière explicite. Voir par exemple un passage célèbre de la « Vie d’Alexandre Sévère ». Voir p. 437 (paragraphes 6-7). Le paganisme vu comme une menace. L’auteur possède une connaissance intime des auteurs de la littérature chrétienne et s’en moque. A lu Lactance, Tertullien.
(2). Des textes qui permettent de mieux comprendre la culture et le monde des païens. « Il n’y a aucune raison de mettre le mot païens entre de soupçonneux guillemets au motif que les païens n’existeraient que dans le regard de leurs compétiteurs ». Commentaire et explications. Le paganisme, une civilisation, une urbanité, un raffinement. Un autre mot pour la paideia.
(3). L’auteur de l’Histoire Auguste oppose finalement à la perte de liberté religieuse un plaidoyer vigoureux, entre vérité et imagination, un plaidoyer pour la vie qui, à ses yeux, s’assimile aux charmes de la paideia. Et Stéphane Ratti de citer (d’une manière qui peut surprendre) Pierre Drieu La Rochelle, dans la préface de 1942 à la réédition du roman Gilles : « Altérer les faits, ce n’est pas altérer l’esprit des faits. […] Si on crée de la vie, on ne ment pas, on ne trompe pas, car la vie est toujours juste écho de la vie ».
