Emission 140 : La légende du cercueil de verre du Père-Lachaise, entre XIXe et XXe siècle, avec Stéphanie Sauget

Cent-quarantième numéro de Chemins d’histoire, vingtième numéro de la quatrième saison

Émission diffusée le dimanche 29 janvier 2023

L’invitée : Stéphanie Sauget, professeure d’histoire contemporaine à l’université de Tours, autrice d’un ouvrage intitulé Le Cercueil de verre du Père-Lachaise. La dépouille dans les sociétés contemporaines, CNRS éditions, 2023.

Le thème : La légende du cercueil de verre du Père-Lachaise, entre XIXe et XXe siècle

Le canevas de l’émission

De quoi Stéphanie Sauget fait-elle l’histoire ? Légende urbaine, légende contemporaine ? Un récit hybride entre le canard médiatique, le conte, le fait divers et la légende. Un canular médiatique international, connu par diverses sources, à commencer par une collection de 63 courriers conservés aux Archives départementales de Paris depuis les années 1970 (1326 W 11 et V5S 2), collection d’abord conservée au cimetière du Père-Lachaise, un échantillon d’un ensemble sans aucun doute plus vaste (on a des témoignages qui l’indiquent, Frédéric Ortoli, Pierre Mariel). Collection : quelle période (43 lettres sur 63 envoyées entre début novembre 1893 et fin janvier 1894) ? Quelle provenance (44 courriers sur 63 proviennent des EUA ou du Canada) ? Quel profil pour les candidats ? Un éclatement professionnel ? Des hommes (54) mais aussi des femmes (9). Autre source fondamentale : la presse, par laquelle les « candidats » ont connu l’histoire de la princesse au caveau de verre. L’article de presse le plus ancien est français (La Justice, 19 septembre 1893). Quelle origine et quelle diffusion (internationale) ? Quelles variantes ? Quand l’histoire se stabilise-t-elle autour d’une princesse, d’un cercueil de verre ? Flambée de 1893-1894. Après ces dates. Au début du XXe siècle. La recomposition de l’Entre-deux-guerres.

Comment a-t-on fait l’histoire de cette légende depuis le XIXe siècle. Depuis le folkloriste Frédéric Ortoli (1861-1907). Au XXe et au XXIe siècle.

Virgule

Quelques aspects saillants du livre (1). Rattacher la légende de la Princesse russe ou du Père-Lachaise à un « fond commun ». Hypothèse de Stéphanie Sauget : la légende révèle un syndrome de Blanche-Neige. Reformulation étrange du conte de Blanche-Neige (voir un article de la presse autrichienne, janvier 1894, qui parle d’« ein neues Schneewittchen »). L’histoire de Blanche-Neige a connu son apogée au XIXe siècle. Dans l’imaginaire contemporain, la mort est incarnée par une demi-morte : une Princesse qui pourrait se réveiller un jour ou dormir sans se flétrir pour l’éternité. Avec un corps qui est mis sous la cloche de verre (voire de cristal) d’un cercueil qui l’expose au lieu de la cacher, corps à l’abri de la décomposition. La Princesse russe du Père-Lachaise, Blanche-Neige ou encore la Belle au bois-dormant font figure de demi-mortes ou de mortes-vivantes qui brouillent les limites entre le monde des morts et celui des vivants. Des fictions qui ont la force symbolique et prophétique des mythes (p. 141).

(2). La légende de la princesse du Père-Lachaise prend place à une époque où les morts et la gestion des cadavres occupent une place centrale dans la réflexion des Etats et où se développent des « pratiques sarcophagiques » pour reprendre l’expression de Jean-Didier Urbain. La princesse russe est enfermée à triple tour, dans un cercueil de verre, dans une magnifique chapelle funéraire, elle-même placée dans le cimetière du Père-Lachaise, le plus célèbre cimetière du monde occidental sans doute. Fascination autour des monuments funéraires. Attraction des tombeaux et négro-géographie visible notamment dans la nouvelle de l’écrivain autrichien Karl Hans Strobl, Das Grabmal auf dem Père Lachaise, 1913 (Le Mausolée du Père-Lachaise). Strobl s’est servi de la légende du Père-Lachaise pour construire sa nouvelle. Fait de troublantes hypothèses ? Lesquelles ? Que suggèrent-elles ? Fascinations et peurs du tombeau.

(3). La légende de la princesse ou de la riche héritière s’inscrit dans une période où une nouvelle attention est portée sur le cercueil. La transfiguration du cercueil (devient un produit standardisé, un produit dont l’appropriation individuelle et collective se renforce, un dernier écrin de soi). Le culte ambigu du cercueil au XIXe siècle.

(4). Une réflexion sur le temps. Hétérotopie… et hétérochronie, soit un autre usage des heures et une autre relation au temps. Une princesse morte il y a 5 ans. Un séjour attendu d’un an dans la chapelle funéraire. Mais le temps de la légende est aussi celui de l’argent. La fortune de la princesse, chiffrée dans les articles identifiés par Stéphanie Sauget.

Une leçon de méthode. Micro-événement et distance de l’historienne. Projets pour les mois et les années qui viennent.

Au cimetière du Père-Lachaise aujourd’hui
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