Cent-trente-septième numéro de Chemins d’histoire, dix-septième numéro de la quatrième saison
Émission diffusée le dimanche 8 janvier 2023
L’invité : Mathieu Arnoux, professeur à l’université Paris-Cité, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, auteur de Un monde sans ressources. Besoin et société en Europe (XIe-XIVe siècles), Albin Michel, 2023, ouvrage préfacé par Gaël Giraud.
Le thème : Besoin et société dans l’Europe médiévale
Le canevas de l’émission
Une enquête qui s’ouvre sur une question que le chercheur pose à son présent, question que le titre du livre met en avant (Un monde sans ressources). Une enquête qui « répond à une préoccupation de citoyen du monde » (p. 16, voir aussi p. 179, anachronisme et pertinence de l’analyse). Une enquête qui s’interroge sur une absence. Les hommes et les femmes du Moyen Age n’ont pas connu la notion de ressources (le mot a alors un autre sens, et on y reviendra largement), comme se représentent-ils le monde et ses usages possibles ? Le livre prolonge un travail précédent, Le Temps des laboureurs. Travail, ordre social et croissance en Europe (XIe-XIVe siècle), paru chez Albin Michel, en 2012, en inversant les perspectives. Explications. L’ouvrage de 2023 « place la matière, inerte ou vivante, à l’origine de l’enquête, en s’interrogeant sur les contraintes et les limites qu’elle faisait peser sur les vies quotidiennes et les projets des acteurs ». L’auteur parle de matière, de contraintes, et non d’environnement. Pourquoi ? Une histoire des besoins dans les sociétés médiévales ? Qu’est-ce à dire ? Certes, il ne s’agit pas d’une histoire totale desdits besoins. Contraintes imposées par les sources, choix réalisés. Un travail interdisciplinaire (voir p. 16-17).
Il apparaît nécessaire de revenir sur le terme / concept de ressources, un terme qui « n’éveille pas le soupçon » mais qui est, en réalité, d’une complexité sans pareille. « Un mot trop simple pour être honnête » (p. 34), qui dit « la part active du rapport qui existe entre l’individu et son environnement » et qui ne se comprend que par rapport à une forme particulière de l’individu : le consommateur. La notion ancienne de ressources… sans connexion avec le sens contemporain du mot. Les « ressources naturelles », émergence d’une notion nouvelle, inflexion décisive. Rôle, à cet égard, de la pensée de Jean-Baptiste Say (1767-1832). Voir le Traité d’économie politique, dernière édition (posthume, 1841). Le rôle des « agents naturels ». Conception ambivalente de la nature chez Say. Ouvre néanmoins la voie d’une extraction illimitée en insistant sur le caractère inépuisable des ressources. Rapprochement fait, à ce moment du raisonnement, par Mathieu Arnoux, avec des mots qui figurent dans le roman allégorique Pierre le laboureur, écrit à partir des années 1360 par un clerc des Midlands, John Langland (lecture, p. 42). Langland fait du besoin de chacun la règle du libre accès aux dons de la Grâce. L’ordre social médiéval fait du besoin légitime la règle de l’accès au flux des biens du monde. Le monde médiéval renvoie à un modèle social et économique fondé sur la notion de « besoin ». Champ d’application de ce mot (dépourvu d’antécédent latin) très large. Quel est-il ? N’est pas un mot emprunté au registre religieux. Mais les notions de besoin, de nécessité, à la base de tout débat sur la pauvreté, sont au centre de débats politiques, juridiques… et théologiques au Moyen Age. Ces notions subissent une redéfinition complète après la mort de François d’Assise (fortes pages sur les élaborations franciscaines). Des échos en langue vulgaire.
Virgule
De la vertu du « passage par l’étude de cas particuliers » (p. 188). Quelques aspects du livre (1). Autour du Roman de Renart, texte qui offre un paysage extraordinairement évocateur des années 1180-1210, observé par l’œil d’animaux qui sont aussi des grands seigneurs féodaux. Période qui apparaît à la fois comme un bouleversement écologique majeur pour le monde sauvage des animaux et comme une crise de la domination féodale, alors que la paysannerie connaît une forme d’expansion. A sa manière, dit Mathieu Arnoux, le Roman de Renart raconte « un moment critique de transition entre deux régimes de subsistance, dont le premier est caractérisé par un fonctionnement en flux, propre aux écosystèmes naturels, tandis que le second est défini par le régime de stock des espaces humanisés » (p. 115). Explications et exemples. Lecture, p. 116 (extrait du Roman de Renart, description de la maison du vilain Constant). Une épopée de la convoitise, dont l’assouvissement permet aux animaux de relâcher la tension qu’exerce sur eux la contrainte des systèmes en flux.
Quelques aspects du livre (2). Réflexion autour de la croissance urbaine de Paris (250 000 habitants au début du XIVe siècle). L’émergence de la métropole parisienne vue comme le résultat de divers agencements, pratiques agraires, procédés techniques et organisations économiques, mis en œuvre dans un contexte de contraintes multiples (p. 245). Lesquels et avec quels acteurs ? Quel équilibre et quelles fragilités ? Clé de la stabilité : la construction politique de la capitale (p. 270). Cas parisien : cas-limite qui montre les solutions adoptées pour répondre aux besoins des sociétés médiévales sont renouvelables, pour une large partie. Au cœur des systèmes techniques ; bois, cuir, fibres végétales, fer. Mais, dans le cas francilien, première expérience de la grande ville, « avec ses aspects de technologies non renouvelables, d’effet rebond et d’une culture nouvelle de l’inégalité ».
Chemins d’historien.
