Emission 133 : Une ténébreuse affaire dans la France du Grand Siècle, avec Nicolas Buat

Cent-trente-troisième numéro de Chemins d’histoire, treizième numéro de la quatrième saison

Émission diffusée le lundi 28 novembre 2022

L’invité : Nicolas Buat, directeur des études à l’Ecole nationale des chartes, auteur de Catastrophe de M. Vedeau de Grandmont. Enquête sur une ténébreuse affaire du Grand Siècle, Les Belles Lettres, 2022.

Le thème : Une ténébreuse affaire dans la France du XVIIe siècle

Le canevas de l’émission

Au point de départ du livre (mais pas de la réflexion), il y a une citation extraite des Caractères de La Bruyère, ouvrage paru en 1688. Lecture, p. 11 du livre. Passage peu explicite. Nécessité d’avoir des « clefs ». Clé imprimée de 1731 (édition de Pierre Coste). Lecture, p. 14 du livre.

Quel est donc l’objet du livre ? Reconstituer cette affaire et ses déroulements complexes, en amont et en aval des années 1680 et 1690. Le titre de l’ouvrage de Nicolas Buat reprend celui d’un factum publié après l’arrêt de 1693 (deux états différents conservés à la BnF), Catastrophe de l’affaire de M. Vedeau de Grandmont (voir p. 131).

Pour raconter toute cette histoire, un foisonnement de sources, imprimées et manuscrites (avec des « nœuds gordiens », p. 62, par exemple la série V4 des Archives nationales, qui constitue un « maquis assez décourageant », p. 65). Les factums, « cette littérature grise inséparable des procès de l’Ancien Régime, petits et grands » (p. 103). Un bref panorama des sources disponibles et des investigations de l’auteur. La place des Mémoires de MLCDR…, parus en 1687, sans nom d’auteur (il s’agit en fait de l’écrivain Gatien de Courtilz de Sandras qui prête sa plume à un tiers, M. le comte de Rochefort). Une enquête policière, nous dit la quatrième de couverture du livre. Qu’est-ce à dire ? Quelles fenêtres l’ouvrage nous ouvre-t-il sur l’histoire du Grand Siècle ? Quel type d’histoire nous est-il proposé ici ? Dimensions sociale, politique, judiciaire et juridique du livre.

Virgule

L’affaire en quelques jalons (1). Au départ, un litige entre voisins. François II Vedeau de Grandmont, né vers 1641, est le fils de François I Vedeau de Grandmont, reçu conseiller au parlement de Paris en 1635, fait l’acquisition de la seigneurie de Saint-Lubin-des-Joncherets (localité située aujourd’hui dans le département de l’Eure-et-Loir, à la limite de l’Eure et de la Normandie) auprès d’Alexandre de Campion en 1653. François II succède à son père après la mort de ce dernier, en 1658. Il devient conseiller au parlement de Paris (reçu en 1659 avec dispense d’âge) et seigneur de Saint-Lubin. Il épouse, en 1666, Anne-Claude Genoud, fille d’un conseiller au Parlement (depuis 1641), Philippe Genoud. Vedeau de Grandmont a pour voisin, dans sa campagne, Etienne Sallé et son épouse Madeleine, fille de Charles Hervé, conseiller au parlement également. Leur terre du Ménillet (commune de Dampierre-sur-Avre) est en amont de Saint-Lubin. En septembre 1680, Vedeau fait l’acquisition du fief des Salles-d’Ilou, y incluant (à bon ou à mauvais escient) des droits sur l’Avre (affluent de l’Eure, sous-affluent de la Seine). La scène du 20 septembre 1680 : Vedeau de Grandmont envoie des gens afin de faire valoir ses titres. Ces derniers pêchent dans la rivière. Interpellés par Madeleine Sallé, ils laissent leurs filets sur place. La machine judiciaire se met en marche. La querelle commence, entre G et H. Elle se poursuit par personnes interposées, à travers Robert Adam, garde des chasses du domaine de Nonancourt, et Guillaume Poëte, huissier à cheval au Châtelet de Paris, résidence d’Evreux ; les tribulations de ce dernier. L’affaire atterrit finalement devant les Requêtes de l’Hôtel, une procédure qui se perd finalement dans les sables tout en se complexifiant. L’incident peut être considéré comme clos à l’orée de l’année 1685.

(2). L’affaire des preuves de Malte. Le jeune Louis Vedeau, le deuxième fils de François, est reçu dans l’ordre de Malte en 1679 (à l’âge de 8 ans). Par ailleurs, investi du prieuré d’Acquigny (en bordure de l’Eure, près de Louviers). S’attire l’hostorilité d’Antoine Leroide des Bordes, pourvu du même prieuré. Leroide attaque Vedeau de Grandmont sur les preuves de noblesse données à l’ordre de Malte, preuves qui ne valent rien pour Leroide. Procédure devant le Parlement de Paris. Libelle de Leroide (automne 1684) derrière lequel Vedeau voit Charles Hervé, et réplique de Vedeau. La querelle glisse de la question de la généalogie et des preuves de noblesse à celle du faux et de l’usage du faux. A partir de juin 1685, au cœur du débat, il y a la falsification de l’un des registres du parlement (comprenant un arrêt du 9 janvier 1558, en fait 1559, concernant le mariage de Jean et Marie Vedeau). L’instruction conclut au faux, avec des arguments convaincants (mention de la « Religion prétendue réformée » en 1559, expression inusitée alors). Qui a procédé à cette falsification ? Telle est la question, qui redouble d’intensité avec la découverte d’une fausse minute chez un notaire de Lyon, découverte qui n’est pas sans rapport avec un contrat de mariage inclus dans les preuves de Vedeau. Décrété de prise de corps en août 1685, Vedeau s’enfuit et disparaît. Loin de Paris (en Bretagne), un temps. Revient progressivement, alors que son ennemi, Charles Hervé, est contraint de se défaire de sa charge, parce qu’il ne paye pas ses créanciers (avril 1690). Vedeau réapparaît en pleine lumière en 1691. Se constitue prisonnier. Le procès reprend. Deux actes de rébellion, 29 février 1692 et 2 février 1693. Trois procès réunis en un (procès pour faux, deux procès pour rébellion).

L’arrêt du 14 avril 1693. Que dit-il ? Vedeau est banni à perpétuité du royaume et ses biens confisqués. Peine finalement commuée en prison. Le 15 avril, cérémonie (robe et autres marques de magistrature publiquement ôtées). Direction : Pierre-Scize. Sur la première de couverture figure un dessin de Fleury François Richard, datant de 1830 et reproduisant le Château de Pierre-Scize, célèbre prison lyonnaise, sur les bords de la Saône, prison où François Vedeau de Grandmont s’éteint en février 1718.

Vue du château de Pierre-Scize, par William Marlow (1740-1813)
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