Cent-trentième numéro de Chemins d’histoire, dixième numéro de la quatrième saison
Émission diffusée le jeudi 3 novembre 2022
L’invitée : Edith Parmentier, professeure d’histoire ancienne à l’université de Caen-Normandie, autrice de Le Roi Hérode. De la légende à l’histoire, Les Belles Lettres, 2022 [voir aussi quelques extraits].
Le thème : Le roi Hérode, entre légende et histoire
Le canevas de l’émission
Propos liminaire (rapide) : Hérode en quelques mots. Hérode, roi de Judée entre 37 et 4 avant notre ère. Roi des juifs, roi Hérode, Hérode le Grand, comment le nommer ?
La légende noire du roi Hérode (1). Hérode, le tueur d’enfants. Voir l’évangile de Matthieu (prologue : naissance de Jésus, récit de l’arrivée à Jérusalem des Mages venus d’Orient, qui annoncent l’événement au roi ; le roi fait interpréter une prophétie biblique qui révèle la naissance du Messie à Bethléem ; les Mages s’y rendent sans dévoiler le lieu où ils ont trouvé Jésus ; Joseph s’enfuit avec sa famille ; « Hérode, se voyant joué par les Mages, entra dans une grande fureur et envoya tuer, dans Bethléem et sa région, tous les enfants âgés de moins de deux ans », Matthieu, 2, 16). Enjeu christologique majeur sur cet épisode, qui fixe la date de naissance de Jésus entre 6 et 4 avant notre ère. Il est donc très difficile de renoncer à l’historicité de cet épisode. Le lieu (Bethléem, naissance de Jésus, mort d’Hérode, voir le mausolée d’Hérode, l’Hérodion, situé à 5 km au Sud-Est de la ville). Le massacre et ses victimes, un marqueur dans l’imaginaire chrétien (enfants de moins de deux ans puis, dès le IIe siècle, tous les garçons de Bethléem, victimes vénérées comme des martyrs dès le IVe siècle). Une construction, produit de plusieurs auteurs (Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Eusèbe de Césarée). Le nombre de victimes ne cesse de croître, à mesure que le culte des Saints Innocents se développe. Cristallisation au Ve siècle ? Retour à l’histoire. Un épisode qui n’est attesté que par Matthieu (les trois autres évangiles n’en parlent pas, Luc évoque même la Présentation au Temple, laquelle semble contradictoire avec le massacre ; voir aussi Flavius Josèphe). Un massacre dont le substrat historique constituerait l’exécution des fils d’Hérode (Alexandre et Aristobule IV, en 7 avant notre ère, Antipater, en 4) ? Un parallèle qui n’a guère de sens, dit Edith Parmentier. Autre substrat historique : la mise à mort de 40 élèves d’écoles pharisiennes, érigés en martyrs auprès de l’opinion juive (voir les récits de Flavius Josèphe) ? Une histoire fabriquée qui repose sur un amalgame entre la mémoire romaine et la mémoire chrétienne (analyse érudite autour d’une plaisanterie rapportée par Macrobe dans ses Saturnales, années 400, « Mieux vaut être le porc d’Hérode que son fils », p. 76). Une histoire fabriquée, qui combine deux typologies folkloriques, celle des récits de sauvetage miraculeux et celle des légendes posthumes qui se développent à la mort d’un despote haï.
La légende noire (2). Le « demi-juif », expression qu’on trouve dans les Antiquités juives de Flavius Josèphe. Un « Iduméen », un « demi-juif ». Voir aussi la Guerre des juifs : Hérode est « un simple particulier », qui accède au trône par chance. Selon la tradition chrétienne, petit-fils d’un esclave attaché au temple d’Apollon à Ascalon (apologiste Justin). Que dire de ces textes ? Dans quelle mesure faut-il les déconstruire ? Stéréotypes et accusations polémiques, traces de polémiques antérieures réactivées à l’encontre du roi, réactivations qui soulignent l’existence de clivages et de courants d’opinion hostiles à Hérode, clivages dont on prend conscience à la lecture de différentes sources (Flavius Josèphe, écrits dits sectaires). Le roi a aussi des soutiens !
La légende noire (3). Un roi infâme et… ridicule. Un roi impie mort dans des conditions effroyables (le persécuteur châtié, voir Flavius Josèphe, extrait des Antiquités juives, lecture, p. 123, puis la tradition chrétienne). Vu de Rome, un roi marginal, plutôt ridicule.
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Autres visages du roi Hérode. Un roi hellénisé. Sphère culturelle de l’hellénisme. A encouragé le théâtre juif hellénophone. Possédait une collection d’œuvres d’art (qu’il liquide dans les années 20 avant Jésus-Christ, afin de trouver des fonds au moment d’une famine qui frappe le royaume). Un renforcement de la présence grecque à la cour d’Hérode ? Un roi architecte. Voir les recherches de l’archéologue Ehud Netzer (1934-2010). Rénovation du patrimoine hasmonéen, exemples. Un roi pionnier, la mise en valeur de la vallée du Jourdain.
Rendre Hérode à l’histoire n’est pas chose aisée tant le palimpseste hérodien est complexe. On peut le faire grâce à de très nombreux travaux dont Edith Parmentier rend compte : une tradition historiographique particulièrement riche, avant et après le fameux König Herodes. Der Mann und sein Werk (1969) signé Abraham Schalit (1898-1979). Au-delà de l’histoire religieuse. Les leçons de Marie-Françoise Baslez (1946-2022), récemment disparue.
Note
La précédente biographie du roi Hérode, signée Mireille Hadas-Lebel, un ouvrage paru chez Fayard en 2017, est critiquée par Edith Parmentier à l’occasion d’un compte rendu paru dans la Revue historique, en 2018.




Hérode et le massacre des Innocents, représentations du Moyen Age à l’époque contemporaine (Hérode ordonnant le massacre, Bibl. Mazarine, ms. 1559, fol. 196v, seconde moitié du XVe siècle ; enluminure figurant dans le Codex Egberti, fol. 15v, Bibl. Trêves, Allemagne, Xe siècle ; Le massacre des Innocents, par Nicolas Poussin, Chantilly, musée Condé, entre 1625 et 1632 ; Scène du massacre des Innocents, par Léon Cogniet, musée des beaux-arts de Rennes, 1824)