Cent-vingt-huitième numéro de Chemins d’histoire, huitième numéro de la quatrième saison
Émission diffusée le dimanche 23 octobre 2022
L’invité : Jérémie Ferrer-Bartomeu, chargé de recherches auprès du FNRS (Liège et Louvain), auteur de L’Etat à la lettre. Ecrit politique et société administrative en France au temps des guerres de Religion (vers 1560-vers 1620), Champ Vallon, 2022.
Le thème : Nouveaux regards sur l’Etat dans la France du XVIe siècle
Le canevas de l’émission
Ce livre tiré d’une thèse soutenue à l’Ecole des chartes en 2017 constitue-t-il une nouvelle histoire de l’Etat entre les années 1560 et les années 1620 ? Ne prend pas pour objet d’étude l’Etat moderne en soi, ni sa genèse, ni l’exploration téléologique de sa croissance, ni sa théorisation. Ce n’est pas ce niveau qui intéresse l’auteur même s’il peut en constituer un arrière-plan, notamment historiographique. Voir la p. 19 : « Nous nous intéressons en revanche aux techniques et aux savoirs qui fondent et qui arment les rapports de force et de pouvoir au sein du champ qu’est l’État dans le contexte spécifique des guerres de Religion et de leur progressif règlement. La question centrale de notre étude tient dans l’analyse de la gouvernementalité spécifique des guerres de Religion, aux langues grises de l’administration, à la progressive disjonction du gouvernement du roi et de l’administration de l’État ». Saisir l’histoire de l’Etat à travers le rôle et le travail des secrétaires qui travaillent au plus près du roi (des finances, des commandements, d’Etat), secrétaires vus à un moment singulier (ne sont plus les greffiers de la volonté royale, ne sont pas encore les ministres du Grand Siècle). Les secrétaires comme dépositaires d’une administration en construction. Quelle histoire proposée ? Une histoire institutionnelle classique ? Non. Une histoire qui passe par une démarche prosopographique approfondie ? Non plus, même si les hommes de bureaux sont partout présents. Pourquoi ne pas faire d’étude prosopographique ? Voir la p. 60 : l’auteur souligne « la difficulté intrinsèque d’établir une prosopographie du personnel des bureaux pour la séquence 1580-1660, prosopographie qu’on peut cependant rencontrer pour les moments antérieurs et postérieurs ». Alors ? « Une démarche faite d’intuitions et d’éclairages destinés à prendre la mesure de phénomènes importants » (Olivier Poncet). Qu’est-ce à dire ? Etude de la bureaucratie de la première modernité ? L’expression porte une charge trop lourde (des Lumières à Max Weber), même si la notion de bureau(x) est judicieuse. Dimension collective et institutionnelle du travail concret et quotidien des secrétaires d’Etat. Un fil rouge : Nicolas de Neufville, seigneur de Villeroy, secrétaire d’Etat de Charles IX à partir de 1567, qui connaît une ascension sous Henri III avant la disgrâce de 1588, rappelé par Henri IV en 1594 après avoir servi le duc de Mayenne, mort en 1617. La mobilisation du concept d’individus collectifs, penser les administrateurs comme des individus collectifs.
Place de l’écrit. Voir la p. 27 : Comment le recours à l’écrit et aux instances qui le préparent, le manient, le projettent et le reçoivent a-t-il changé en profondeur la gouvernementalité de la première Modernité ? Question du recours à l’écrit et de la mise en circulation des papiers d’Etat. Dans la forêt documentaire. Formulaires, instruments de travail, volumes chronologiques de correspondances, volumes thématiques de négociations. Quels écrits d’Etat, « dans lesquels se sédimente la culture politique » ? Certes, l’historien arrive bien après la bataille qui s’est jouée au moment de la sélection, des destructions et des copies des papiers d’Etat. Des papiers d’État aux brouillons, aux ratures, etc. ?
Une socio-histoire de l’Etat. Avec quelles références historiographiques ?
Virgule
Quelques aspects du livre (1). Qui sont les professionnels de l’écrit qui intéressent l’auteur ? Voir la première partie sur ce que l’écrit politique fait à l’Etat. Les quatre secrétaires d’Etat, dont le fameux Villeroy. Quelles compétences ? Quels périmètres géographiques ? Les quatre secrétaires sont assistés par un personnel mal connu pour le second XVIe siècle (clercs et commis, agents de second rang, catégorie passionnante assez mal connue, exemple de Jules Gassot dont on possède les souvenirs, Sommaire mémorial, publiés en 1913 et étudiés notamment par Nicolas Schapira). Autres professionnels de l’écrit : les ambassadeurs et les secrétaires d’ambassade ; les agents de premier ordre (grands officiers, membres du conseil royal). Les membres de la famille royale sont-ils des professionnels de l’écrit ? Les souverains étrangers avec lesquels ils échangent le sont-ils ? La catégorie générale de professionnels de l’écrit, entendue au sens de producteurs et de manipulateurs de papiers d’État, est donc constituée de sous-groupes très divers entre eux qui partagent cependant une culture politique et des codes d’écriture communs.
Quelques aspects du livre (2). Ce que l’Etat fait de l’écrit politique. Le contexte compte ! Les guerres civiles, lesquelles obligent l’Etat à « reformuler, dans l’ordre de l’écrit, quel était précisément le périmètre de l’obéissance qu’on lui devait » (p. 133). Les rythmes de la chronologie. De Charles IX à Henri IV. Sous Henri III, la pratique de l’écrit se déploie sur trois fronts : l’information du conseil et du souverain, la transmission d’ordres intérieurs et diplomatiques, la distribution de la faveur matérialisée par les dépêches que les secrétaires d’État, agissant en finances, concèdent sous l’autorité du souverain. La sédimentation de la culture administrative sous Henri IV. L’auteur refuse cependant les démonstrations linéaires et s’interroge aussi sur les refus et ruses qui consistent à ne pas écrire pour un agent du secrétariat en se demandant ce que cela révèle de sa pratique experte de maniement de l’écrit politique. A contrario, Jérémie Ferrer-Bartomeu revient sur des exemples de multiplications de dépêches. Autonomie et transmission de la culture de l’écrit chez les figures d’administrateurs. Les pré-bureaucrates sont-ils autonomes ? Quelle forme d’autonomie ? Exemples concrets. Les stratégies familiales qui se déploient pour occuper des chaînes continues de fonctions liées à l’écrit politique et à sa mise en circulation.
