Emission 127 : Les marchés de la mer à Venise au XVIIIe siècle

Cent-vingt-septième numéro de Chemins d’histoire, septième numéro de la quatrième saison

Émission diffusée le dimanche 16 octobre 2022

L’invitée : Solène Rivoal, maîtresse de conférences auprès de l’Institut universitaire Champollion, à Albi, chercheuse rattachée au laboratoire FRAMESPA, autrice de Les Marchés de la mer. Une histoire sociale et environnementale de Venise au XVIIIe siècle, éditions de l’Ecole française de Rome, 2022 [livre accessible dans sa totalité].

Le thème : Les marchés de la mer à Venise au XVIIIe siècle

Le canevas de l’émission

L’objet du livre : l’organisation, la gestion et l’exploitation des produits de la mer, de la pêche à la distribution, dans la ville de Venise au XVIIIe siècle. La « matière du poisson » ou la materia del pesce (expression employée en 1715 par Vettor Da Mosto, magistrat et inquisiteur vénitien de la Giustizia Vecchia, chargé de ce circuit de ravitaillement. Un système complexe et évolutif, dans lequel s’organisent les relations entre gouvernants et exploitants pour la gestion des produits de la mer (ressources à protéger, biens à échanger, nourriture quotidiennement consommée). Le poisson relie les acteurs à la ville et à l’environnement lagunaire. 1765 : les magistrats de la Giustizia Vecchia estiment que les Vénitiens consomment deux livres de poisson par personne et par semaine. Poissons ? Ensemble des produits de la mer. Une histoire de l’approvisionnement de Venise. Quelle histoire ? Histoire sociale du poisson. Contre les idées préconçues (voir par exemple David Abulafia, selon lequel la pêche ne permet pas d’appréhender les phénomènes sociaux dans leur ensemble). Une histoire inédite pour Venise ? Quels acteurs impliqués ? Petits officiers qui contrôlent les marchés, pêcheurs, vendeurs, consommateurs, associations professionnelles. « Analyser les individus qui animent les marchés de la mer » (p. 21). Le XVIIIe siècle, un temps de mutations ? Les circuits reposent sur une relation dialectique spécifique entre les institutions et les communautés de pêcheurs, et les fondements de cette relation se transforment au XVIIIe siècle.

Les sources pour raconter cette histoire : les archives de la Giustizia Vecchia, une magistrature créée au XIIe siècle. Quel objet ? Au départ : organiser l’approvisionnement de la cité en biens de consommation quotidiens, d’en surveiller le fonctionnement et les prix. Compétences s’élargissent et se complexifient, jusqu’au XVIIIe siècle (création d’un inquisiteur sur les vivres en 1715). Les fonds de la Giustizia Vecchia. Documentation législative. Documents produits par les associations professionnelles et leurs représentants, documents produits par des individus (suppliques). Archives judiciaires (justice civile et justice pénale, 67 procédures étudiées entre 1706 et 1797). Un corpus inédit, formé de procès concernant des activités ordinaires (analyse proposée des pratiques d’écriture, ne pas chercher l’authenticité des voix des professionnels de la mer mais comprendre les interactions qui se jouent lors des interrogatoires). Autres sources complémentaires.

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Trois parties du livre à travers trois définitions différentes de la materia del pesce. La première partie revient sur une organisation spatiale suivant l’itinéraire des produits de la mer. La deuxième partie s’attarde sur les acteurs, organisations sociales spécifiques et individus, des marchés de la mer. La troisième s’intéresse aux gouvernants et travailleurs de la mer. On se concentre ici sur la première partie du livre, « Le poisson, une biographie. De l’animal marin à l’aliment urbain ».

La distribution spatiale des produits. Lecture du début du livre, p. 11-12. La lagune est bien le berceau de la materia del pesce, entre mythe et réalité (premier secteur d’activité économique de la lagune à l’époque moderne, alors que les productions de bois et de sel deviennent marginales par exemple). L’omniprésence des pêcheries dans la lagune. Difficile de définir et de délimiter les valli da pesca. Qui en sont les propriétaires ? La Pesca Vagantiva : une pratique libre, toujours plus contrôlée. Rôle globalement accru de la Giustizia Vecchia dans la pêche lagunaire pendant la seconde modernité. Nouvelles zones de production en haute mer. Quel espace concerné ? Voir la carte de la p. 146 (jusqu’en Dalmatie, à bord des tartanes). Quelles modalités et quels acteurs ? C’est à relier au poids renforcé des autorités vénitiennes (selon une vision étatique dans laquelle les périphéries servent le centre), et cela transforme le rôle des communautés de pêcheurs. « Quand le poisson arrive en ville ». Le contrôle de la qualité des poissons, la vente aux poissonniers, membres de la corporation des compravendi pesce. Le palo, un lieu dévolu aux transactions pour l’achat du poisson dans la ville. Où ce lieu se trouve-t-il ? Quelle transaction ? Des officiers prélèvent une taxe, le dazio del pesce fresco al palo. Mais toutes les ressources ne sont pas concernées par le système du palo (qui ne concerne que la vente en gros et non la vente au détail). Part croissante des produits qui évitent le palo au XVIIIe siècle. Pourquoi ? Les entrées illégales. Les lieux de vente du poisson. Quelle consommation ? L’exemple de la consommation journalière du monastère de San Giorgio Maggiore. Quelles conclusions ? Au total, quelles pratiques alimentaires ? Quelle consommation pour les Vénitiens ?

On le voit donc : une « marée d’acteurs » (titre de la partie 2) pour ce système d’approvisionnement vénitien. Des hommes surtout. Pêcheurs, groupe des compravendi pesce, sans compter les officiers, etc. Les compravendi pesce, une centaine de personnes, alors que l’exploitation du poisson concerne plusieurs milliers de personnes à la fin du XVIIIe siècle. Les vendeurs sont définis comme une corporation au sens traditionnel du terme (un arte). Anciens pêcheurs devenus poissonniers, dépréciés. Les pêcheurs sont organisés par communautés (noms d’usage, voir tableau p. 55). Pluriactivité de ces pêcheurs. Une organisation héritée du Moyen Age. Grande rupture, en 1748 : passage du fonctionnement en communautés à de nouvelles formes d’organisation fondées sur des alliances éphémères et transversales entre des acteurs issus de communautés différentes. La réforme concerne aussi les vendeurs. Affaiblissement des communautés et changement de nature, repli vers des fonctions de représentations. Le XVIIIe siècle marque l’éloignement des pêcheurs et des autorités. Une gestion concertée remise en cause et qui se transforme au siècle des Lumières.

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