Cent-vingt-sixième numéro de Chemins d’histoire, sixième numéro de la quatrième saison
Émission diffusée le dimanche 2 octobre 2022
L’invitée : Elisabeth Schmit, agrégée et docteure en histoire médiévale, autrice d’un ouvrage intitulé En bon trayn de justice. Les grands jours du parlement de Paris au lendemain de la guerre de Cent Ans, éditions de la Sorbonne, 2022.
Le thème : Les grands jours du XVe siècle
Le canevas de l’émission
Que sont les grands jours ? Il s’agit de sessions tenues par des conseillers du parlement de Paris, sept sessions tenues entre 1454 et 1459, à Montferrand, à Poitiers ou à Thouars et à Bordeaux. Sessions dont on possède les registres (pour Bordeaux et pour Poitiers/Thouars en tout cas, dans la sous-série X1A, aux Archives nationales, non pas pour les trois sessions tenues à Montferrand en 1454, 1455 et 1456). Sessions qui n’étaient pas inconnues mais qui n’avaient pas été explorées de manière aussi approfondie et qui, trop souvent, ont été associées à des institutions ou à des réalités postérieures (les grands jours de l’époque moderne, au XVIe siècle et jusqu’aux fameux grands jours d’Auvergne, en 1665-1666), dont elles se distinguent pourtant nettement. Les grands jours étudiés ici se distinguent aussi d’institutions antérieures. Une construction loin d’être linéaire : des jours ou des grands jours dès le XIIIe siècle (quel sens pour le mot « jour » ?). Quel usage au XIVe siècle ? Les grands jours de Troyes. A la fin de ce même siècle, l’expression « grands jours » renvoie à des cours d’appel de plusieurs sortes, relevant de diverses autorités princières ou seigneuriales et tenues avec ou sans autorisation expresse du roi, le point commun entre ces cours étant la possibilité d’un appel en Parlement. Les grands jours étudiés ici : une expérimentation inédite. Quatre critères décisifs : personnel (conseillers, huissiers, greffiers, gens du roi du parlement de Paris), assise (6 à 8 semaines sans itinérance, en un seul siège et pour un ressort spécifique), autorité au nom de laquelle ces grands jours sont tenus (autorité royale), souveraineté des décisions. Des grands jours royaux, parlementaires et souverains (p. 23) !
Comment expliquer la tenue des grands jours durant les années 1450 ? De l’importance du contexte. La fin de la guerre de Cent Ans (1453), la campagne de Guyenne, la bataille de Castillon. Paix et justice sont associés dans les textes du temps (voir par exemple les écrits de Jean Juvénal des Ursins ou de Thomas Basin ; lecture, texte p. 51, Jean Juvénal). Œuvre de Charles VII (avènement dans des conditions très difficiles en 1422) : les ordonnances de 1436, de 1446 et de 1454 (ordonnance de Montils-lès-Tours, qui définit les compétences juridictionnelles du parlement de Paris et qui demande la mise par écrit des coutumes), de la relocalisation à la restauration du Parlement. Quel ressort pour le parlement de Paris en 1454 ? Analyse précieuse du registre des plaidoiries, X1A 4780 et carte, p. 155. Mise en ordre juridictionnelle particulièrement complexe, dans un contexte de rivalités avec la justice seigneuriale (ducs de Bourbon, en Auvergne par exemple, cas de Montferrand, sessions tenues en 1454, 1455 et 1456), de concurrences internes à la justice royale (les Montagnes d’Auvergne, au croisement de deux orbites juridictionnelles depuis l’instauration du parlement de Toulouse-Béziers, 1420-1428, puis de Toulouse, recréé en 1443 ; cour souveraine établie à Bordeaux, en 1451, le retour des Anglais en 1452 y mettant fin, la nouvelle victoire royale excluant tout rétablissement du parlement, les grands jours de 1456 et de 1459 traduisant une forme de « mise en sujétion », p. 121, le parlement ne sera recréé qu’en 1462, sous Louis XI). Comment expliquer l’établissement du siège à Poitiers (1454) puis à Thouars (1455) ? Voir aussi les cartes proposées par l’autrice, p. 159 et s.
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Fonctionnement des grands jours. Les grands jours, sur 6 à 8 semaines, en septembre-octobre, reproduisent l’espace ritualisé du parlement de Paris, avec ses acteurs (magistrats, procureurs, avocats, justiciables). Fonctionnement des grands jours à l’image parisienne. Avec quelle logistique ? Déployer 60 à 80 personnes à chaque fois, c’est un défi !
Le contenu des affaires traitées. 429 dossiers judicaires reconstitués. Qu’est-ce à dire ? L’élaboration d’une « métasource » (terme emprunté à Jean-Philippe Genet). La marche (très complexe) des instances et les changements de juridiction jalonnant l’instance. Une indication sur le rayonnement de la justice royale ? Les causes présentées, plaidées, jugées (le nombre de procès qui font l’objet d’un jugement rendu est faible), le rythme des audiences. Quelles causes ? Les causes relatives au patrimoine, aux droits seigneuriaux, aux rentes et aux dîmes ecclésiastiques, aux refus d’obligations fiscales et banales sont nombreuses. A l’ère de la reconstruction.
Les grands jours du XVe siècle dans l’histoire des grands jours, avec un poids inégal du facteur politique (déjà davantage présent à Bordeaux qu’à Poitiers ou à Montferrand) : justice et politique. Justice ordinaire ou justice extraordinaire (voir aussi les travaux de Jean-Marie Carbasse) ? Une chimère institutionnelle (Jean-Marie Augustin à propos des grands jours de Poitiers, ville qui accueille six sessions des grands jours entre 1454 et 1634, sans que jamais une véritable cour souveraine n’y soit installée).
