Cent-vingt-quatrième numéro de Chemins d’histoire, quatrième numéro de la quatrième saison
Émission diffusée le dimanche 18 septembre 2022
L’invitée : Mathilde Rossigneux-Méheust, maîtresse de conférences à l’université Lumière-Lyon 2, autrice de Vieillesses irrégulières. Des « indésirables » en maison de retraite (1956-1980), La Découverte, 2022.
Le thème : Vieux et pauvres au XXe siècle, à travers l’exemple des « indésirables » de la maison de retraite de Villers-Cotterêts (Aisne)
Le canevas de l’émission
Une historienne de la vieillesse et des vieux ? Travail doctoral (sous la direction de Dominique Kalifa, soutenance en 2015, publication en 2018, chez Champ Vallon, prix Augustin-Thierry de la ville de Paris, Vies d’hospice. Vieillir et mourir en institution au XIXe siècle, Seyssel, Champ Vallon. Un prolongement avec le livre publié en 2022, dans la collection « A la source », dirigée par Clémentine Vidal-Naquet (sixième volume de la collection, inaugurée par les Vies oubliées. Au cœur du XVIIIe siècle, d’Arlette Farge, en 2019, et poursuivie notamment par les ouvrages d’Hélène Dumas ou de Jérémie Foa).
Au cœur de cet ouvrage : le gisement documentaire. Les archives de la maison de retraite de Villers-Cotterêts (située dans l’enceinte du château Renaissance de Villers-Cotterêts, Aisne), maison de retraite qui prend la suite, en 1889, d’un dépôt de mendicité (créé en 1808), maison de retraite gérée par la préfecture de police puis par la préfecture de la Seine, l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (APHP), la ville de Paris (Centre d’action sociale, depuis 1972). En 2014, la maison de retraite déménage en périphérie. Restauration et chantier de la Cité internationale de la langue française, voulue par le président Emmanuel Macron (en lien avec la signature, en 1539, à Villers-Cotterêts, de l’ordonnance imposant le français dans les actes administratifs). Les archives : « le massif archivistique est à la hauteur du monument ». Travail de collecte et de construction du fonds par Elsa Quétel et Guillaume Normand, rencontrés dès 2011. Dans l’océan de cartons, « certaines archives attirent l’œil plus que d’autres ». La liasse de 307 « petites fiches cartonnées » qui concernent des résidents stigmatisés (entre 1956 et 1980), 308 individus qui « ont manifestement suffisamment dérangé pour susciter un dispositif disciplinaire de papier spécifique » (p. 8). Fiches rédigées après le départ (volontaire ou non) des résidents concernés. Le propos : faire autant une histoire du fichage que des fichés. Une histoire politique, une histoire sociale, une histoire culturelle. Une histoire nourrie par le fichier, par des archives connexes, par des entretiens (voir p. 254), par une bibliographie qui a ses limites (histoire de la vieillesse assez peu nourrie pour le second XXe siècle, p. 252, hormis témoignages célèbres ou non, par exemple Simone de Beauvoir, et travaux de la sociologie ; histoire des pratiques de fichage et de mise en fiches, des dispositifs disciplinaires, nombreux auteurs cités mais Michel Foucault n’apparaît qu’en pointillés).
Virgule
Une histoire du fichage. Un « fichier disciplinaire » ? Louis N., directeur, utilise cette expression en 1961, au sujet de Pierre N., résident, accusé d’avoir « souillé sa literie de café, tabac, pain », de vider son vase de nuit au mauvais endroit, de ne pas écouter les « remontrances » du personnel. L’exemple de la fiche de Dominique Z. (reproduction dans le cahier iconographique central, avec deux autres documents), qui quitte la maison de retraite en août 1973 après moins de 2 ans à Villers-Cotterêts. Lecture et analyse. Est-il possible de faire l’histoire du fichier ? Les circuits de l’information disciplinaire, la place de Mlle N. devenue Mme K., femme en charge de renseigner le bon de sortie puis la fiche. S’appuie sur le dossier du pensionnaire sorti, le répertoire des punitions, les carnets des rapports, mais aussi des discussions de couloirs. Le rôle du directeur en 1956 dans la mise en place du fichier, André D. Formules utilisées, permanence des mots et des pratiques ? Un fichier qui s’explique par des causes locales mais qui s’inscrit aussi dans des dynamiques plus larges.
Trajectoires. L’exemple de Reine E., rentrée à Villers-Cotterêts en 1951, transférée à Nanterre (maison départementale) en mai 1956 (où elle meurt en 1958). Née en 1903, fille d’un ébéniste et d’une blanchisseuse, mariée deux fois. La guerre comme tournant (travailleuse volontaire en Allemagne puis déportée à Ravensbrück). Au-delà du cas de Reine E. Existences complexes où reconnaissance et stigmatisation s’entremêlent sans cesse. Ne pas tomber dans une histoire fataliste de la déviance (p. 65). Quelques constantes tout de même : veuvage ou célibat, mauvaise santé, problèmes psychiques, nomadisme institutionnel des fichés de Villers-Cotterêts, la « pauvreté marginale » des Trente Glorieuses (Serge Paugam).
Que reproche-t-on aux « indésirables » de Villers-Cotterêts ? La consommation d’alcool. Exemple d’Emile E., ramené en état d’ivresse par les gendarmes en septembre 1957, incident rapporté par la presse (L’Union, 4 septembre, voir p. 101). Alcoolisme et stigmatisation des catégories populaires, l’alcoolisme des fichés de Villers-Cotterêts : comment expliquer la surreprésentation des buveurs ? Voir la p. 118. Les « demi-fous » : l’arrivée dans le fichier de cette catégorie peut être interprétée à la fois comme le produit d’une opération disciplinaire et d’une mesure de protection à l’égard d’un personnel en sous-effectif et non qualifié dans la prise en charge de la santé mentale (p. 145). Ceux et celles qui ne sont pas satisfaits. Exemple de Marcel R., qui déclare en 1965 : « Voilà ce qu’est Villers pour moi : UN LIEU DE MALHEUR » (passage cité, p. 192). Explication et contexte.
Pourquoi la fin du fichier, en 1980 ? Explications et analyse. Les chemins de Mathilde Rossigneux-Méheust.
Lecture et écoutes complémentaires
Un compte rendu du livre signé Philippe Artières (pour le compte d’en-attendant-nadeau.fr, 12 octobre 2022), un épisode de Paroles d’histoire, avec André Loez (27 septembre 2022), une émission animée par Patrick Boucheron (Histoire de, pour France Inter, 2 octobre 2022).
Voir aussi le site de la Cité internationale de la langue française, dont le parcours de visite doit ouvrir ses portes au printemps 2023.
