Cent-vingt-troisième numéro de Chemins d’histoire, troisième numéro de la quatrième saison
Émission diffusée le dimanche 11 septembre 2022
L’invité : Jean-Fabien Spitz, professeur émérite de philosophie politique à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, auteur de La République ? Quelles valeurs ? Essai sur un nouvel intégrisme politique, Gallimard, 2022.
Le thème : La République et ses valeurs, d’hier à aujourd’hui
Le canevas de l’émission
Une réflexion sur la République et son histoire depuis le XIXe siècle. L’essai qui paraît en septembre 2022 prolonge-t-il Le Moment républicain en France, paru chez le même éditeur en 2005 ? Une réflexion qui s’inscrit dans un cadre chronologique plus vaste encore (travaux sur La liberté politique : essai de généalogie conceptuelle, PUF, 1995, et réflexions sur l’œuvre de John Locke, 1632-1704).
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Le diagnostic. L’instrumentalisation de la République et des valeurs républicaines aujourd’hui. Deux exemples. Le discours du président Emmanuel Macron sur le tarmac de l’aéroport d’Orly, le 14 juin 2022, après le premier tour des élections législatives et avant le second, annoncé comme périlleux pour la majorité sortante, « Je respecte chaque voix, chaque sensibilité. Mais parce qu’il en va de l’intérêt supérieur de la nation, je veux aujourd’hui vous convaincre de donner dimanche une majorité solide au pays. […] Nous sommes à l’heure des choix et les grands choix ne se font jamais par l’abstention. J’en appelle donc à votre bon sens et au sursaut républicain. Ni abstention, ni confusion, mais clarification. Dimanche, aucune voix ne doit manquer à la République. Dimanche, je compte sur vous pour doter notre pays d’une majorité solide afin d’affronter tous les défis de l’époque et de bâtir l’espoir. Vive la République et vive la France ». Analyse de cet extrait. De multiples prolongations de ce raisonnement, de la part de représentants des partis de gouvernement, de la première ministre (« arc républicain ») mais aussi ailleurs sur l’échiquier politique. Un mouvement de fond. Une forme de « hold-up sémantique » (expression utilisée par exemple par l’avocat Christophe Lèguevaques, au moment de la naissance du parti Les Républicains, en 2015).
L’analyse. L’avènement d’une forme de « néo-républicanisme autoritaire », une digue que le capitalisme triomphant tente d’élever pour protéger le marché et défendre les « libertés » économiques. La République est devenue l’alibi idéologique de la défense de l’ordre. Et l’auteur d’ajouter : « C’est au nom de la République que l’on vote de nouveau des lois scélérates qui attentent aux libertés publiques, que l’on nie les discriminations et les exclusions, et que l’on consacre ainsi l’inégalité en la dissimulant sous une égalité proclamée mais de pure façade, et à laquelle aucune réalité ne correspond » (p. 29). Le capitalisme, le néo-libéralisme et la République (détournée) ? C’est bien pratique, dit l’auteur : la différence assimilée à la trahison, la dénégation de la réalité des inégalités sous le masque de l’égalitarisme et de l’universalisme, la récupération d’un système de référence à teinture patriotique. La République devient l’ennemie de la république, dit Jean-Fabien Spitz (p. 30). Un processus au long cours. L’idée de République utilisée pour dissimuler la réalité des dominations et en assurer la perpétuation. L’intégrisme républicain et ses manifestations. Polarise au lieu d’unifier, ne répond pas aux « tentations extrémistes ». Exemple 1. Le libéralisme autoritaire. Le renforcement des moyens de surveillance et de répression. Exemple 2. La falsification de la laïcité, analysée par l’auteur (p. 95). D’un principe de liberté à un principe d’autorité. Le glissement de ces dernières années. L’auteur dénonce le « rabâchage verbeux qui prolifère sous le nom d’éducation à la laïcité » (p. 97). Nouvelle laïcité qui prétend étendre la neutralité et l’abstention de toute manifestation religieuse à des domaines de la vie sociale pourtant indemnes de toute puissance publique de contrainte et où devrait prévaloir le principe de liberté. Référence aux lois de 2004 et de 2010 ? Mention du livre de Stéphanie Hennette-Vauchez et de Vincent Valentin, L’affaire Baby Loup ou la nouvelle laïcité, 2014. La mise en place d’un « ordre public immatériel ». Explications et discussion. Face au terrorisme, à l’islamisme, comment faire ?
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Récupérer le sens de l’idée républicaine (p. 39). Esquisser une conception alternative et utile de la République (p. 112). Retour sur le républicanisme et son histoire. Comment émerge la théorie politique qui repose sur l’idée que l’égalité des droits et l’impartialité des lois, outils indispensables de dissolution de la société d’ordres, deviennent des réceptacles d’inégalités et de dominations nouvelles. Voir l’analyse de Jean-Jacques Rousseau. Voir aussi les débats sur les limites à assigner au droit de propriété, pendant la Révolution française (1792, 1793) : exemple du discours du député Armand de la Meuse, le 17 avril 1793, devant la Convention. L’égalité de droit sans l’égalité économique et sociale est une contradiction « absurde, dangereuse et immorale ». « Jouir de l’égalité en droit mais en être privé dans la vie est une odieuse injustice » (passage cité, p. 123). Droit de propriété pourtant consacré (voir le Code civil). Face à une conception restrictive de la République chemine une conception « républicaine ». Intérêt tout particulier de Jean-Fabien Spitz pour la pensée de Louis Blanc, lequel affirme la nécessité d’un aggiornamento conceptuel autour des notions de liberté, d’égalité et de propriété léguées par la Révolution française. Le républicanisme de Louis Blanc. Quel aggiornamento conceptuel ? Explications, en particulier sur le droit de propriété. Non, toute tentative de limiter les droits, notamment de propriété, ne conduit pas à leur destruction et au règne de l’arbitraire (hypothèse du libertarianisme que l’auteur s’emploie à déconstruire).
Quelle théorie républicaine aujourd’hui ? Exemple de l’égalité : l’égalité républicaine ou démocratique (voir ce qu’en dit Elizabeth Anderson). Au total, une conception des principes et des valeurs républicains bien éloigné de toute forme de catéchisme moral ou de cosmopolitisme mou, ou encore d’une forme d’« entreprise de police intellectuelle » (p. 226). Une idée républicaine, en partie l’héritière du libéralisme de Locke et de Smith, qui s’oppose à la réinterprétation néo-libérale dominante aujourd’hui. Retrouver la République sociale de Louis Blanc et de Jean Jaurès. Le combat pour une égalité réelle.
Regards sur le livre de Jean-Fabien Spitz
L’ouvrage a fait l’objet de diverses recensions critiques : par Alain Policar (octobre 2022, laviedesidees.fr) par Pascal Engel (novembre 2022, en-attendant-nadeau.fr, avec une analyse des textes de Charles Renouvier, 1815-1903), ou encore par Serge Audier (décembre 2022, Le Monde).
